Inventaire d’outils
sur la violence
dans la communauté, chez les jeunes, dans les
écoles, dans les milieux de travail
CSQ - Centrale des syndicats du QuébecAnnexe 6
L'enquête et l'analyse en cas
d'agression :
ce n'est pas du luxe!
Version Internet d'un article de la revue Objectif prévention, vol. 21,
no 2 (1998), page 14.
http://www.asstsas.qc.ca/documentation/op/212014.htm
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L'enquête et l'analyse
en cas d'agression :
ce n'est pas du luxe!
Rafat
Massad, ASSTSAS
Dans un article précédent
(voir Objectif prévention vol.
20, no 5), nous avons montré comment l'enquête et l'analyse
des événements accidentels (EAEA) constituaient des outils pour prévenir
la répétition des coupures ou piqûres avec des instruments contaminés.
L'enquête et l'analyse trouvent aussi un champ fertile d'application
dans le domaine de la prévention des agressions. Pour illustrer ce
propos, cet article présente le résultat d'une EAEA mise en œuvre par
le comité paritaire de santé et de sécurité du travail (CPSST) d'un
centre d'hébergement et de soins de longue durée (CHSLD), à la suite
d'un cas grave d'agression. Les recommandations qui en ont résulté ont
permis à la direction du CHSLD de se donner un plan d'action qui
s'attaque aux causes de l'agression, diminuant ainsi au minimum les
risques de reproduction du phénomène dans des circonstances
similaires.
Mise en situation
L'agression s'est produite dans la chambre d'un bénéficiaire alors
qu'une intervenante s'apprêtait à lui injecter sa dose d'insuline. Après
avoir demandé sans succès à celle-ci de s'injecter lui-même
l'insuline, le bénéficiaire se met en colère, la frappe sur le côté
gauche de la tête et sur les bras. Il la saisit par les poignets pour
l'empêcher de sortir de la chambre, tout en lui donnant des coups de
pieds. Lorsque l'intervenante réussit enfin à se dégager et à sortir
de la chambre, le bénéficiaire la poursuit jusqu'au poste de garde. Il
s'en prend au passage à deux autres intervenantes venues à la
rescousse de la première et continue de distribuer des coups de pied.
Il aura fallu qu'un quatrième intervenant s'interpose pour dénouer la
crise. Prenant le bénéficiaire par une manche, il l'invite à se
rendre au salon pour fumer une cigarette. Après plusieurs tentatives,
celui-ci se laisse finalement convaincre. Informé de la situation par téléphone,
le gardien de sécurité retrouve le bénéficiaire au salon en train de
griller calmement une cigarette comme si rien ne s'était jamais passé.
En plus de l'assaut physique dont elle a été victime, cet événement
accidentel a suscité un niveau très élevé de stress chez la première
intervenante, qui a craint pour sa vie. La tension était aussi très
vive parmi les autres membres du personnel de l'unité. L'impact réel
et les conséquences potentielles de l'événement ont incité le CPSST
de l'établissement à aller de l'avant avec une enquête approfondie de
l'événement.
La méthode de collecte des faits
L'EAEA ont été réalisées par l'ensemble du comité de santé et de sécurité
de l'établissement. Ce dernier, qui avait bénéficié, quelques mois
auparavant, d'une formation de l'ASSTSAS sur l'EAEA, a obtenu pour cela
le support d'un conseiller de l'association.
Pour procéder à l'étape de l'enquête approfondie, un sous-comité
paritaire, incluant la chef de service de l'unité concernée, membre du
CPSST, a effectué une entrevue de l'infirmière agressée ainsi que des
autres intervenants, a inspecté la chambre où s'est déroulé l'événement
accidentel, a consulté le plan de soins du bénéficiaire et a rencontré
la pharmacienne de l'établissement. Ces démarches ont permis une
description factuelle des circonstances entourant l'événement
accidentel.
L'analyse des faits recueillis et la recherche de mesures correctives
ont été effectuées par l'ensemble du CPSST.
Les faits relatifs à l'événement
L'événement s'est produit un samedi matin à 7 h 45. La principale
victime de l'agression, l'intervenante 1, est une infirmière d'expérience
en psychogériatrie âgée de 42 ans et occupant un poste à temps
partiel permanent. Cette personne connaissait le bénéficiaire. Elle
avait reçu, en 1992, une formation sur l'approche préventive face aux
comportements agressifs et avait aussi bénéficié récemment d'une
formation destinée au personnel œuvrant auprès d'une clientèle présentant
des comportements agressifs ou perturbateurs.
Pour sa part le bénéficiaire, un HOMME âgé de 38 ans, avait été
admis il y a deux ans à l'unité de psychogériatrie du CHSLD, à défaut
d'autres ressources d'hébergement adaptées. La Classification par type
en milieu de soins et services prolongés (CTMSP) du bénéficiaire
indiquait des troubles de comportement et des difficultés à suivre les
règles établies. Son diagnostic médical faisait état d'un diabète
de type 1 non contrôlé et de troubles de personnalité. Il souffrait
d'une atteinte frontale du cerveau et demandait souvent une réponse immédiate
à ses besoins. Au cours des deux dernières années, il a été
l'acteur principal de 19 épisodes d'agressions sur d'autres bénéficiaires
ou sur des membres du personnel, dont 12 dans l'espace des sept derniers
mois. Divers médicaments (Haldol, Kemadrin, Rivoltril, Dilantin et
Ativan) étaient administrés au bénéficiaire en plus de l'insuline.
Un ajustement du dosage de la médication avait été introduit le
mercredi précédant l'événement. Autre fait à noter, le jour même
de l'événement, le bénéficiaire s'était réveillé vers six heures
et avait demandé, sans succès, par téléphone à un membre de sa
famille de le sortir plus tôt ce jour-là.
Sur le schéma d'aménagement du
lieu de l'événement, sont indiquées d'une part, les positions
respectives du bénéficiaire et de l'intervenante 1 dans la
chambre de ce dernier, d'autre part, la position relative des quatre
intervenants et du bénéficiaire lors de la poursuite de l'altercation
dans le corridor.
L'intervenante 1 devait administrer de l'insuline au bénéficiaire
dans sa chambre. Pour cela, elle devait vérifier le site d'injection
sur une feuille située sur un tableau fixé au mur, près du lit. Se
faisant, elle devait tourner le dos au bénéficiaire qui lui, était
assis à sa table de nuit, dont la position relative obstruait
partiellement la porte de la chambre.
À la demande du bénéficiaire à l'effet de se donner lui-même
l'insuline, la réponse de l'infirmière a été « Je reviendrai
plus tard ». C'est à ce moment-là que ce dernier a poussé la
table de nuit, s'est levé et a commencé à frapper l'intervenante 1.
Lors de l'altercation, celle-ci n'a utilisé aucune technique
d'autodéfense. De plus, elle ne disposait d'aucun instrument pour
alerter à distance les autres intervenants et obtenir du secours. Tout
en empêchant le bénéficiaire de se saisir de la seringue et du
plateau qu'elle tenait bien en main, elle aurait eu un moment d'hésitation
tout en se demandant « Est-ce que j'ai le droit de donner un coup
pour me dégager? » Réussissant enfin à se dégager, elle tente,
sans succès, d'enfermer le bénéficiaire dans sa chambre, la porte de
la chambre étant munie d'un crochet à l'extérieur. Pour les événements
qui se sont déroulés par la suite dans le couloir de l'unité, l'enquête
a démontré que deux des trois intervenants venus porter secours à
l'intervenante 1 connaissaient le bénéficiaire, mais que seul
l'intervenant 4 avait reçu une formation sur l'approche préventive
face aux comportements agressifs.
Enfin, l'agent de sécurité aurait mis, semble-t-il, passablement de
temps avant de donner suite à l'appel à l'aide. En dépit de l'urgence
de la situation, il aurait en effet posé toute une série de questions
avant de reconnaître la nécessité de se déplacer.
Analyse des faits
La composante analyse de l'EAEA consiste à procéder à un examen
critique des faits recueillis à l'étape de l'enquête pour faire
ressortir les faits significatifs anormaux ayant contribué à l'événement.
Le tableau (voir à la fin) présente
les faits significatifs anormaux retenus par le CPSST, suggérant
une fois de plus (voir Objectif prévention, vol. 20, no 5, 1997) que l'événement
accidentel résulte d'une pluralité de causes.
Les causes immédiates
Les causes immédiates de l'accident peuvent être regroupées en trois
grandes catégories relatives au bénéficiaire lui-même, à la déficience
des mesures de contrôle en place compte tenu de sa pathologie et à la
situation dans laquelle s'est trouvée l'intervenante au moment de
l'agression.
La première catégorie de causes est relative au bénéficiaire.
Celui-ci a constitué au sens propre « une source incontrôlée d'énergie ».
La première cause de la crise du résident est sans doute de type
clinique. La pathologie du bénéficiaire, sa médication, les effets
secondaires de celle-ci, l'interférence possible de sa médication avec
une surconsommation de café permettent de comprendre un peu mieux les
raisons de sa crise. L'ajustement du dosage de la médication, en cours
depuis trois jours au moment de l'événement, sa déception de ne
pouvoir, ce jour là, sortir plus tôt que d'habitude avec sa famille et
le refus de l'infirmière de lui laisser s'injecter lui-même sa dose
matinale d'insuline, ont contribué à sa crise.
Les mesures de contrôle en place dans l'établissement ont aussi fait défaut.
L'enquête a en effet montré l'existence de lacunes quant à la mise en
place de mesures correctives efficaces consécutives aux 19 épisodes
antérieurs d'agression. De plus, l'absence d'outils d'alerte sur
l'intervenante, au moment de l'agression, n'a pas permis l'arrivée
rapide de secours pour contenir ou du moins, détourner l'agresseur.
Enfin, la troisième catégorie de causes est relative à la situation
piégée dans laquelle s'est trouvée l'intervenante au moment de
l'agression. L'aménagement de la chambre, dont le tableau d'affichage
situé au fond de celle-ci ainsi que la position relative de la table de
chevet du bénéficiaire obstruant la porte, n'a pas permis à
l'intervenante 1 de sortir rapidement de la chambre aux premiers signes
de crise du bénéficiaire. Aux prises avec le bénéficiaire et ne
voulant à aucun prix lâcher la seringue et le plateau qu'elle tenait
fermement dans ses mains, l'infirmière n'a jamais vraiment eu la
possibilité de se défendre. Celle-ci devait d'ailleurs déclarer par
la suite qu'elle ignorait au moment de l'altercation la ligne de démarcation
entre ce qui est permis ou non pour se défendre ou se dégager.
Les causes fondamentales
Les causes fondamentales permettent de comprendre les raisons
d'existence des causes immédiates.
La faible implication de la responsable de la pharmacie au sein de l'équipe
multidisciplinaire n'a pas permis de s'assurer que les intervenants
disposent de toutes les informations nécessaires à un encadrement plus
adéquat de ce bénéficiaire.
Par ailleurs, on a pu observer que la procédure d'admission des bénéficiaires
ne comprenait pas d'éléments d'évaluation de la dangerosité de la
personne. L'aménagement de chaque chambre n'est pas adapté pour tenir
compte du degré de dangerosité du bénéficiaire qui l'occupe.
Aussi, l'absence d'enquêtes et d'analyses approfondies et systématiques
à la suite d'agressions antérieures n'a pas permis à l'organisation
d'adopter des mesures pour corriger et prévenir adéquatement ce type
de problèmes. Elle n'a pas permis non plus de relever les lacunes
existantes quant au système d'alerte, de manière à secourir
rapidement et efficacement les personnes victimes d'agression.
Enfin, l'enquête a permis d'associer les difficultés éprouvées par
l'intervenante 1 à se défendre à la faiblesse du suivi de la
formation sur les comportements agressifs et perturbateurs.
L'intervention de trois autres intervenants a été nécessaire pour
contrôler le bénéficiaire.
Mesures correctives
Quelque douze mesures correctives ont été suggérées par le CPSST à
la direction du CHSLD à l'issue de l'enquête et de l'analyse de l'événement.
L'ensemble de ces mesures a été approuvé par la direction qui en a
fait un plan d'action.
Le plan d'action adopté est composé des mesures suivantes :
Médication
Évaluer la possibilité de mieux contrôler le diabète du bénéficiaire
en fonction de ses habitudes et de sa condition particulière.
Réviser la médication du bénéficiaire en impliquant la pharmacienne
dans l'équipe interdisciplinaire afin d'évaluer les interactions
possibles de ces médicaments avec la consommation de stimulants.
Informer le personnel des interactions possibles entre les médicaments
et des interactions des médicaments avec la consommation de stimulants
(exemple : alcool, café, cigarettes, etc.).
Évaluer la pertinence d'élaborer une procédure d'intervention systématique
pour tout bénéficiaire agressif et pour ceux qui à la fois consomment
plusieurs médicaments et font usage de stimulants.
Favoriser la présence périodique de la famille à l'équipe
interdisciplinaire, si ce n'est pas déjà fait.
Admission
Au comité d'orientation et d'admission, évaluer la clientèle
en tenant compte du potentiel de dangerosité et ce, en fonction du
milieu de vie et de la santé et de la sécurité du travail.
Évaluer sur l'unité, le potentiel de dangerosité des bénéficiaires
et réviser périodiquement les techniques d'approche (exemple :
travail à deux intervenants).
Aménagement des chambres
Réviser, d'ici six mois, l'environnement physique pour tenir
compte de la dangerosité des bénéficiaires.
Alerte
et gestion du phénomène des agressions
Acquérir un système d'alerte efficace pour protéger les employés.
Définir les rôles et responsabilités des divers intervenants en cas
d'urgence en incluant une procédure de code d'alerte (consignes claires
en cas d'agression, support aux employés, aspects légaux, aspects
professionnels).
Constituer un comité de travail sur les mécanismes de gestion et de
communication concernant les agressions.
Formation
Poursuivre la formation sur la formation des comportements
agressifs et perturbateurs.
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Tableau 1 : Faits significatifs normaux et anormaux
relatifs à l'événement accidentel enquêté
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Éléments de la situation de travail
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Faits significatifs
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Anomalies
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Personne
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Bénéficiaire
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Diabète
non contrôlé
Ajustement du dosage de la médication vs caractéristiques du bénéficiaire
A demandé de s'autoadministrer l'insuline
19 épisodes d'agressivité sur une période de 2 ans
Effets secondaires de la médication ? interférence avec caféine ?
|
Non
Non
Oui
Oui
Oui
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Intervenante
1
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Intervention
solitaire auprès du bénéficiaire
A tourné le dos au bénéficiaire dans la chambre
Refuse de remettre la seringue au bénéficiaire
À la suite de la demande du bénéficiaire de s'injecter lui-même
l'insuline, elle lui indique qu'elle reviendra plus tard
Lors de l'agression, s'est posé la question si elle pouvait
donner un coup au bénéficiaire
|
Non
Oui
Non
Non
Non
|
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Tâches
|
Non-utilisation
de la technique d'autodéfense
A essayé d'enfermer le bénéficiaire dans sa chambre
|
Oui
Non
|
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Équipements
|
Présence
d'un tableau d'affichage
Absence d'équipement portatif d'alerte pour le personnel
|
Non
Oui
|
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Environnement
|
Tableau
d'affichage, pour vérifier les sites d'injection sous-cutanée,
situé au fond de la chambre
Position de la table de chevet et du bénéficiaire obstruent
partiellement la porte de sortie
|
Oui
Oui
|
|
Temps
|
Événement
s'est déroulé au début du quart de travail
Bénéficiaire a logé un appel à 6 h à sa famille pour
sortir plus tôt (refus de la famille)
|
Non
Oui
|
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Organisation
|
À
l'admission, pas d'évaluation du potentiel de dangerosité
Peu d'implication de la pharmacienne dans le dossier de ce bénéficiaire
Absence d'adaptation de l'environnement à la dangerosité des bénéficiaires
Pas d'EAEA et de mesures correctives à la suite des épisodes antérieurs
d'agressions
Faiblesse du suivi de formation sur l'approche préventive face
aux comportements agressifs en situation d'urgence
Absence de système d'alerte efficace pour protéger les employés
(directives claires sur quoi faire en cas d'agression, rôles et
responsabilités, délais d'intervention du gardien de sécurité)
|
Oui
Oui
Oui
Oui
Oui
Oui
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Conclusion
Le processus et le résultat de l'EAEA que nous venons de décrire
illustrent bien l'une des modalités possibles d'implication d'un CPSST
pour prévenir les agressions subies par le personnel d'un établissement.
Dans cet article, nous avons voulu démontrer comment l'enquête et
l'analyse d'événements accidentels peuvent mettre en lumière des
lacunes importantes quant aux modalités de gestion des résidents
agressifs et perturbateurs. Il montre aussi comment l'identification et
la correction de ces lacunes peuvent constituer une occasion pour une
organisation de se doter d'un plan d'action en prévention des
agressions. Dans le cas présent, se doter d'un tel plan d'action après
qu'un bénéficiaire ait été à l'origine de dix-neuf épisodes
d'agression sur d'autres bénéficiaires ou sur les membres du personnel
n'était, compte tenu des circonstances, certainement pas un luxe. |
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