La
contribution de l’armée et du discours militaire à la
formation
de l’image sociale de la
masculinité
Uta KLEIN, Université de Münster,
Allemagne
Les violences qui ont marqué l’ex-Yougoslavie ont révélé les aspects
liés au sexe de ces phénomènes que sont le nationalisme, les conflits
et la guerre. Bien que les femmes demeurent habituellement invisibles dans
les situations de conflit armé et d’élaboration des politiques
militaires, ces dernières années ont prouvé qu’il fallait, pour une
analyse en profondeur, dépasser la formule éculée selon laquelle la
guerre serait «l’affaire des hommes» et se pencher sur des faits
graves qui ne laissent pas de troubler tous ceux qui sont intéressés à
une société pacifique: à savoir les agressions sexuelles et les viols
massifs de femmes et de fillettes en temps de guerre; les tentatives de
contrôle de la sexualité des femmes et de la procréation; la
prostitution et l’augmentation de la violence familiale en temps de
guerre; la pénétration de flux incontrôlés d’armes dans les sociétés;
l’impact de l’expérience du combat sur les hommes; la disparition de
membres des familles; l’acceptation culturelle de la violence par la
société et la prédominance du discours militaire.
Dans les pages qui suivent, nous tenterons de montrer en quoi la
militarisation d’une société est un processus fondé sur la
distinction entre les sexes et l’accusant. L’exemple d’Israël
montre comment dans une région de conflit ethnique et/ou politique
- se crée une dichotomie où la défense du pays et le combat sont conçus
comme un devoir national pour les hommes et la reproduction, au sens
biologique et culturel du terme, comme un devoir national pour les femmes;
- le passage par l’armée peut être compris comme un rite de passage à
l’âge adulte et un outil d’intégration sociale pour les hommes;
- la prédominance du discours militaire conduit à l’inégalité des
sexes dans la société.
Israël constitue à cet égard un cas intéressant parce que le
service militaire y est obligatoire pour les Juifs, hommes et femmes. Il
n’en reste pas moins, comme nous le verrons plus loin, que
l’accomplissement de ce devoir national est très largement régi par
des considérations de sexe. L’armée s’avère être le principal
agent de formation des rôles de l’un et l’autre sexe, produisant un
type de masculinité à forte empreinte militaire et devenant de ce fait
la principale source d’inégalité des sexes au sein de la société.
L’exemple d’Israël montre qu’en dépit de la participation des
femmes aux forces armées, il existe des liens étroits entre les
conceptions en vogue de la masculinité et la position dominante de
l’armée dans la société.
Combattants
et procréatrices
Le nettoyage ethnique auquel il a été procédé dans
l’ex-Yougoslavie est le plus récent et cruel rappel du fait qu’il
importe d’étudier la façon dont la masculinité se construit à
travers le nationalisme et de dévoiler que les politiques nationalistes
sont un des principaux lieux de réalisation de la masculinité.
Le nationalisme, d’après Benedict Anderson, est un ensemble de
constructions culturelles. Son objectif, à savoir l’édification de la
nation, requiert un passé ou un présent national imaginaire (Anderson,
1991), l’élaboration de traditions (Hobsbawm et Ranger, 1983) et la
construction symbolique d’une communauté (Gellner, 1983). Le
nationalisme encourage une forme homosociale de liens entre individus de
sexe masculin. Pour George Mosse, la masculinité moderne est au cœur de
tous les types de mouvements nationalistes (1997). On a souvent évoqué
le corps féminin pour parler du pays qu’habite une communauté et
auquel elle a le sentiment d’appartenir. Le «corps de la nation» est
une géoentité sexuée.
Les conceptions qu’ont du rôle de l’un et l’autre sexe les parties
en cause et les images qui les habitent sont un des éléments inhérents
aux conflits nationaux ou ethniques. Les récits les concernant définissent
les obligations nationales des hommes et des femmes en termes
dichotomiques.
Ce processus est manifeste dans le conflit israélo-palestinien. Au cœur
du mouvement sioniste, tard venu parmi les mouvements nationalistes européens
du siècle dernier, on trouve la notion de
masculinité. Dans l’image hautement négative de l’Exil qui y était
donnée, le Juif de la Diaspora était perçu comme un être passif,
craintif et féminin, voire efféminé.
L’idéal sioniste de masculinité en était l’antithèse. La force
physique et la volonté de défendre son honneur en combattant étaient
les caractéristiques que l’on souhaitait développer chez le «nouveau
juif», qui serait un homme d’action plutôt que de paroles (ill.1).
Le mouvement sioniste imaginait le «retour » des Juifs à la
« mère-patrie» comme un retour à la fiancée Sion, décrivant la
terre tantôt comme un amant à conquérir et à fertiliser, et tantôt
comme la mère enfantant un peuple nouveau mâle.
Imaginer Sion ou, inversement, la Palestine comme une femme faisait - dans
un cas comme dans l’autre - de ses défenseurs de vrais hommes (voir également
Katz, 1996). Les arabes palestiniens considéraient l’invasion sioniste
de la Palestine comme un viol de leur terre, en une image souvent utilisée
dans la littérature anticolonialiste.
Dans le discours nationaliste, quelqu’il soit, les femmes sont dépeintes
comme les «porteuses de la nation» (Yuval-Davis, 1997) parce que perçues
comme les représentantes de la collectivité. Cela signifie de coutume
qu’il leur incombe d’assurer non seulement la reproduction biologique
et la transition culturelle, mais aussi d’incarner l’honneur de la
nation et d’en marquer les frontières (voir Yuval-Davis et Anthias,
1989).
La lutte politique israélo-palestinienne s’est, dans une certaine
mesure, déroulée dans le corps des femmes: Nira Yuval-Davis parle
d’une «course démographique» entre les populations juive et
palestinienne d’Israël (1989), comme cela se produit souvent dans les
sociétés marquées par un conflit national entre deux groupes nationaux
revendiquant un même territoire. Dans la société israélienne,
sécurité et natalité sont
considérées comme les deux indispensables composantes de la survie de
l’Etat. L’accent y est mis sur la maternité, considérée comme un
devoir national. Le taux de naissance de la population juive fait
l’objet de vifs débats dans les médias, et les régions du pays où
les palestiniens de nationalité israélienne sont en majorité ne
laissent pas de préoccuper les politiciens.
Inversement, pour la population palestinienne des territoires occupés après
1967, un taux élevé de naissances est devenu une arme politique contre
l’occupation. On peut constater, en se reportant aux statistiques, que
les taux de fécondité de la Cisjordanie et de Gaza ont augmenté
constamment depuis le début de l’Intifada (1988) jusqu’en 1992,
passant de 6,84 en moyenne à 7,37, après la baisse enregistrée au début
des années 80 et jusqu’en 1987 (Courbage, 1997).
Corps et sexualités revêtent une importance cruciale en tant que
territoires et repères dans les récits des nations. Dans le discours
propre à chaque culture, les notions relatives aux différences entre les
sexes sont inséparables de l’identité sociale, telle que conçue par
la culture en question, et transparaissent dans les conflits culturels.
Les différences culturelles servent à souligner l’«altérité». Les
femmes symbolisent dans la plupart des cas l’esprit de la collectivité;
souvent conçues et présentées comme les porteuses symboliques de
l’identité et de l’honneur de la collectivité, à titre personnel et
collectif, elles assument la «lourde charge de la représentation», pour
reprendre l’expression utilisée par Kubena Marcer en 1990. La conduite
des femmes marque de ce fait les limites posées par la collectivité. Les
hommes traditionalistes peuvent être les défenseurs de la famille et de
la nation, mais les femmes sont réputées incarner l’honneur de la
famille et de la nation: leur honte est celle de la famille, de la nation
et de l’homme.
Ici encore, j’aimerais donner un exemple lié au conflit israélo-palestinien.
Durant l’Intifada, dans la société palestinienne, des femmes ont été
assassinées parce que considérées s’être rendues coupables de
collaboration. D’après un rapport d’une organisation des droits de
l’homme, plus de 100 femmes ont été assassinées durant les six années
en question parce qu’on les soupçonnait de collaboration (B’tselem,
1994). On ne dispose pas de données précises à ce sujet aujourd’hui.
Un rapport du Women’s Empowerment Project fait état de 20 meurtres
d’honneur en Cisjordanie et à Gaza en 1996. Des représentants estiment
que le nombre en est infiniment supérieur. L’étude de ces cas révèle
que ce terme de collaboration était
habituellement appliqué par les familles de ces femmes et, dans la
plupart des cas, par des parents de sexe masculin à des comportements
considérés comme faisant «honte» à la communauté et portant atteinte
à leur honneur.
Ce type de récit nationaliste empreint d’une conscience aiguë du rôle
dévolu à chaque sexe se retrouve, me semble-t-il, dans d’autres
conflits régionaux. Dans une étude sur les médias croates, Dubravka
Zarkov (1997) montre comment la Croatie y est dépeinte comme une mère
qui doit être défendue par ses fils contre l’agression serbe. Le
message qui s’en dégage est que les fils doivent mourir pour défendre
leur mère et qu’il faut des soldats pour défendre, en raison de sa
vulnérabilité, le nouvel Etat croate.
Le
service militaire, rite de passage à l’âge adulte pour les hommes
Dans la société israélienne, le
combattant héroïque a toujours été masculin, en dépit de la présence
de femmes juives dans les forces armées. Il n’y a pas lieu ici de s’étendre
sur la question des femmes dans les forces de défense israéliennes.
Disons très brièvement que la conscription des femmes israéliennes ne
conduit pas, comme on pourrait
le penser, à la disparition progressive de la dichotomie entre hommes et
femmes. Les femmes ne sont plus astreintes au service militaire dès
qu’elles se marient (!), et non pas dès qu’elles donnent naissance à
un enfant, ce qui montre que la raison d’être du mariage est la procréation.
Il n’y a pas place pour les femmes dans les unités combattantes, si
bien qu’en Israël comme dans les autres forces armées du monde, la
société considère les hommes comme les protecteurs et les femmes comme
les protégées (Stiehm, 1982). Qui plus est, seuls les hommes sont appelés
à faire des périodes de réserve régulières jusqu’à 52 ans au
moins.
Bien que l’armée israélienne soit encore perçue comme le principal
instrument d’édification de l’identité nationale,
elle est devenue le fondement sur lequel repose l’image qu’ont
d’eux-mêmes les israéliens de sexe masculin et une source de mobilité
sociale (Klein, 1999).
Pour les juifs israéliens de sexe masculin, le service militaire fait
partie intégrante de la maturation et constitue un rite de passage à
l’âge adulte. Indispensable à ce titre, il est considéré ouvrir aux
garçons le droit d’appartenir au cercle intérieur des hommes adultes.
Il satisfait le désir typique qu’ont les adolescents de sexe masculin
de sensations fortes, d’aventures et de périls, il «fournit le
contexte culturel spécifique dans lequel s’effectue le passage des Israéliens
à l’âge adulte» (Lieblich, Amia et Meir Perlow 1988, 45). Aussi
est-il décrit et perçu par les anciens combattants comme une occasion
d’accomplissement de la masculinité (voir Edna Lomsky-Feder 1992).
Dès l’école, les jeunes juifs israéliens se préparent à entrer dans
l’armée. Des conférences leur sont données par des membres des forces
de défense, pour leur donner des renseignements et des impressions de la
vie dans l’armée israélienne. Nombre de jeunes se portent volontaires
pour les unités spéciales ou suivent des cours avant l’âge de la
conscription. Tous les élèves juifs des écoles israéliennes
pratiquement participent tous les ans au «Yom Hakheilot», un séminaire
d’une durée d’une journée, organisé en collaboration par l’école
et l’armée.
Ce «Yom Hakheilo» illustre le fait que le service militaire constitue
pour les garçons une expérience physique. Garçons et filles sont séparés.
Des films montrant des soldats en action et le côté excitant de la vie
militaire sont présentés aux garçons. Les jeunes gens s’entendent
dire que les exercices physiques sont un des aspects les plus importants
de la préparation au service militaire. Les filles, en revanche, ne
voient pas de films sur les femmes en action. Les exigences physiques du
service ne sont pratiquement pas mentionnées. Au cours des conférences
et entretiens, l’accent est mis sur les aspects affectifs du service
militaire, tels que la séparation d’avec les parents. Les ouvrages
traitant du service militaire ne contiennent eux aussi des suggestions sur
les formes d’entrainement physique à pratiquer que pour les garçons.
Le service militaire est donc une expérience intensément physique. La
formation d’un individu à masculinité militaire est un exercice
mettant en jeu le corps (ill.2). Pour un énorme pourcentage de jeunes de
sexe masculin, le soldat faisant son service dans une unité combattante
est l’idéal. La motivation à servir dans les unités combattantes
reste élevée. Etre un héros signifie être capable de ressentir appréhension
et angoisse. Dire «J’ai peur» est un aveu que la plupart des soldats
israéliens apprennent à ne pas faire durant leur entraînement, fait
observer Yaron Ezrachi (1998:138). Ce sont les postes exigeant un maximum
de contrôle de soi qui jouissent du plus grand prestige (les
parachutistes par exemple). Un bon soldat est un soldat capable de maîtriser
ses peurs.
Somme toute, en dépit de la présence de femmes, l’unité est perçue
comme un groupe de mâles du même âge, un lieu de camaraderie masculine
et de fraternité, une communauté de guerriers.
Il n’y a donc pas lieu de s’étonner que, dans la conscience du
public, le soldat vu en tant que défenseur soit masculin. Les établissements
commémorant la mémoire des soldats tombés à la guerre sont appelés Yad banim (soit Maison des fils) et les monuments commémoratifs
montrent des femmes se séparant de fils ou de maris partant à la guerre
(par exemple le monument élevé à Balfuria par Mordechai Kafri) ou des
femmes soignant des soldats blessés (comme le monument élevé à
Nitzanim par Moshe Ziffer).
La question cependant est de savoir quel effet ces expériences ont sur le
comportement et les attitudes des adultes de sexe masculin.
Alors que l’entrée dans la société masculine passe par l’épreuve
de force de caractère, de vigueur et de compétence que constitue le
service militaire, les femmes sont définies par leur relation avec les
membres masculins de la société. Leur tâche, celle de femmes, de mères
ou de sœurs de soldats, est assimilable au rôle féminin des processus
d’initiation.
La formation dispensée par l’armée vise, semble-t-il, à cultiver
l’aptitude des jeunes à devenir des individus orientés vers l’action
et l’acquisition de compétences plutôt que vers la réflexion,
tendance qui trouve une expression sociolinguistique dans le style «dugri»,
c’est-à-dire le parler d’une rude franchise prévalent (Katriel et
Nesher 1986). L’expérience de la guerre renforce cette tendance et
chaque guerre contribue à accentuer les stéréotypes masculin-féminin
traditionnels. S’agissant d’Israël, il convient de ne pas oublier que
toute la génération active des pères contemporains a subi l’expérience
éminemment traumatisante de la guerre de Yom-Kippur de 1973. Une partie
considérable des jeunes de la tranche d’âge ayant dix ans de moins ont
connu la guerre du Liban. Tous sont encore astreints à faire des périodes
de réserve. Leur vécu, qui comprend la peur de la mort, la disparition
d’amis et les blessures reçues le cas échéant, les amène, en voulant
paraître forts, à afficher la façade faite de dureté, de brusquerie et
d’agressivité si souvent décrite.
La guerre du Golfe donne une idée de l’enchaînement qui se produit
lorsque les hommes ne peuvent remplir leur rôle de protecteur. Israël
n’ayant pas pris part à la guerre, les tensions inhérentes à la
participation au combat ont pour la première fois été épargnées aux
Israéliens. Privés d’assurer la défense du pays, ils ont été
contraints à demeurer passifs. Ils ont dû rester au foyer avec leurs
femmes et leurs enfants, dans des chambres étanches, ce qui a eu pour
effet de saper leur identité masculine. D’après les rapports dont nous
disposons, le nombre des infractions sexuelles et des formes de violence
conjugale à l’égard des femmes a augmenté durant la guerre du Golfe.
Il n’existe pas encore de recherches vraiment poussées sur les liens
entre l’orientation militaire de la société et la violence familiale
en Israël. Le nombre des femmes tuées par leurs partenaires ou parents
de sexe masculin est élevé, compte tenu de la taille et du chiffre de la
population de l’Etat d’Israël: les statistiques parlent de quelque 73
à 127 assassinats de femmes au cours des années 1990 à 1995,
ces chiffres comprenant seulement les maris et conjoints dans le premier
cas et les partenaires et autres parents de sexe masculin dans le deuxième.
En 1991, année de la guerre du Golfe, 35 femmes ont été tuées par leur
partenaire. En parcourant les journaux, on apprend que 25 % ont été tuées
à l’aide d’armes à feu, appartenant souvent aux forces de défense.
Dans certains cas, le lien entre la violence durant le service militaire
dans les territoires occupés et la violence au sein de la famille est
manifeste. Dans un cas, un soldat, qui avait tiré sur une jeune
palestinienne assise en train de lire sur le seuil de sa maison en 1989,
la tuant, a tiré deux ans plus tard en 1991 sur sa petite amie israélienne
qui avait décidé de le quitter. Je ne voudrais pas que l’on se méprenne
sur le sens de cette observation: en général, ce sont les hommes en Israël
qui effectuent des opérations militaires qui sont les blessés et les tués.
Mais ce sont les femmes qui deviennent les cibles de violences commises
par des hommes appartenant à leur société du fait d’une agressivité
accrue.
Les hommes relatant leur expérience à l’armée disent souvent y être
devenus une autre personne. Les compte rendus émanant de soldats ayant
fait leur service dans les territoires occupés, notamment durant
l’Intifada, montrent le processus de brutalisation auquel ces jeunes ont
été soumis.
La
prédominance du discours militaire conduit à l’inégalité des sexes
dans l’ensemble de la société
Le rôle central joué par les forces de défense a, on s’en doute,
un impact sur la place faite à l’un et l’autre sexe dans la vie
publique. De ces effets, nous nous bornerons ici à en évoquer deux, ceux
intéressant le monde du travail et la politique.
Les hommes qui remplissent les missions et les tâches les plus
dangereuses en retirent des avantages par-delà la vie militaire dans la
vie civile. En raison de la place occupée par l’armée dans la société
israélienne, le service militaire présente une importance cruciale pour
toute carrière civile. Avoir appartenu aux plus hauts échelons de
l’armée ouvre l’accès à des postes importants et influents dans la
vie publique. Leur service dans les forces de défense israéliennes
constitue pour la plupart des officiers supérieurs un marche-pied dans
leur carrière civile ultérieure. Phénomène qui automatiquement se
traduit par une discrimination à l’égard des groupes qui ne sont pas
incorporés dans l’armée et, au premier chef, à l’égard des Israéliens
arabes musulmans de l’un et l’autre sexe. Les Juifs israéliens
retirent de leur service militaire un capital social, des contacts, un réseau
de relations utiles à leur carrière professionnelle et des avantages de
nature tant matérielle que symbolique. Le capital accumulé par les
femmes juives n’est en revanche guère apprécié sur le marché du
travail civil.
Les hommes convertissent le rang atteint dans l’armée en un rang dans
les divers partis politiques. Avoir servi dans l’armée est considéré
comme une condition préalable à la nomination à un poste public. Le
pourcentage des femmes à la Knesset depuis la création de l’Etat
d’Israël n’a jamais été supérieur à 10 %, soit un chiffre inférieur
à celui atteint par les femmes dans n’importe quelle démocratie européenne!
Au cours de la campagne électorale cette année, plusieurs organisations
féminines ont posé dans un appel au public le problème de la fixation
de l’électorat sur les dirigeants masculins ayant des antécédents
militaires (ill.3). D’anciens généraux ont créé de nouveaux partis
et des politiciens se sont targués d’avoir l’appui de militaires de
haut rang.
Dans le nouveau gouvernement, une seule femme, Dalia Itzik, a été nommée
ministre dans un cabinet qui devait à l’origine compter trente trois
membres. Au bout de quelques mois, en août, le Premier ministre a nommé
cinq ministres de plus, dont une deuxième femme, Yael Tamir.
L’attention portée au passé militaire se manifeste également dans les
homepages des membres de la Knesset sur Internet: leur rang dans l’armée
y figure immédiatement après les diplômes et la profession dans le cas
des membres masculins du Parlement.
Le nombre de femmes dans les pouvoirs locaux a lui aussi été extrêmement
limité. Depuis la création de l’Etat, six femmes seulement ont été
à la tête de conseils locaux, dont aucune dans une ville ayant plus de
10 000 habitants. On ne compte actuellement que deux femmes dirigeant un
conseil local. L’arène politique est dominée par des hommes qui,
durant les dix à quinze dernières années, ont, la quarantaine venue,
pris leur retraite avec le rang de général et sont entrés dans le monde
des affaires ou la vie politique.
Un même processus a, semble-t-il, cours chez les deux parties au conflit
régional: en observant la formation de l’Etat palestinien, on constate
que jouissent d’un traitement hautement préférentiel les hommes qui
ont combattu dans les rangs du mouvement de libération et qui ont été
emprisonnés durant l’Intifada ou avant.
Conclusion
Qu’entend-on par société militarisée?
D’après l’ouvrage classique de Betty Reardon Sexism and the War System, le militarisme est un système de
croyances «fondé sur l’hypothèse que les valeurs et les politiques
militaires assurent une société où règnent l’ordre et la sécurité»
(1985, 14). Le militarisme, y lit-on encore, «révèle les excès
auxquels conduisent les traits généralement qualifiés de machisme,
terme qui à l’origine dénotait la force, le courage et le sens des
responsabilités requis pour remplir les fonctions sociales masculines»
(15). Le fait qu’une société soit ou non en état de conflit n’est
pas, à proprement parler, le seul facteur permettant de la qualifier de
militariste. Il faut également considérer, comme l’a fait David
Morgan, la part faite à la formation militaire dans la formation des
citoyens masculins, le pourcentage des dirigeants politiques ayant des antécédents
militaires, la présence des uniformes militaires dans la vie publique et
les variables économiques, notamment le pourcentage des ressources
nationales consacré aux dépenses militaires (1994).
Nous espérons avoir réussi à montrer que l’armée et le discours
militaire sont, à notre sens, le principal agent de formation des
relations entre les sexes dans la société israélienne.
Les indicateurs suivants, établis à partir de notre étude, devraient être
utilisés pour évaluer l’influence de l’armée sur l’image de la
masculinité dans les sociétés :
L’armée est- elle le principal agent servant à forger l’identité
masculine?
- service militaire obligatoire/armée composée de volontaires;
- possibilité d’opter pour une autre forme de service (portée et durée
de cette autre forme de service);
- pourcentage d’une tranche d’âge déterminée optant pour le service
militaire;
- reconnaissance par la société de l’objection de conscience.
Eléments de la formation de l’intégration sociale par le canal
de l’armée:
- langage militaire;
- dévalorisation des traits considérés comme féminins;
- formation de liens de camaraderie masculine;
- exercices et instruction militaires;
- rituels de soumission;
- présence de recrues féminines.
Prédominance des militaires dans:
- la sphère privée;
- l’arène politique;
- la vie publique.
Importance des dépenses au titre de la défense.
* * *
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