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  Table des matières du séminaire du COE - 7-8 octobre 1999
Les hommes et la violence à l'égard des femmes

La violence masculine à l’encontre des femmes et des enfants
en temps de guerre


Dubrovka KOCIJAN HERCIGONJA, Croatia

La violence à l’encontre d’autrui tient à de nombreux facteurs, mais c’est fondamentalement le résultat de la structure de la personnalité d’un être brutal, le produit des facteurs bio-psycho-sociaux qui l’ont influencé au cours de son développement. Or, la violence du temps de guerre n’est pas la même que celle du temps de paix, même si dans l’une et l’autre situation il existe des personnes violentes.

En temps de paix, du fait de nombre de facteurs psychologiques, biologiques et sociaux, des individus ou des groupes développent des déviations psychopathologiques. L’agression apparaît alors pour satisfaire certaines de ces déviations et pulsions pathologiques. En temps de guerre, l’individu brutal agit comme en temps de paix, mais ses actes bénéficient souvent de l’impunité, quand ils ne sont pas récompensés. En revanche, des personnes qui agissent avec violence durant un conflit n’ont jamais un comportement violent en temps normal. Alors pour quelle raison un individu moyen normal devient-il agressif, surtout envers les femmes et les enfants? Une analyse des guerres du passé montre que cette violence est caractéristique de certaines guerres et qu’elle a pour objet de démoraliser l’ennemi. Le rôle principal n’est tenu ni par les femmes ni par les enfants mais par l’homme, l’ennemi à qui il convient de faire du mal et qui doit être vaincu; les femmes et les enfants ne sont que des instruments à cette fin. Telles sont les guerres depuis un siècle; je crois que cette constatation s’applique surtout aux sociétés patriarcales de certains pays où la femme n’a aucun droit et, de ce fait, c’est à l’homme qu’il incombe de la protéger et d’être le gardien de son honneur. Dans ce contexte, une femme est épouse et mère mais n’est pas une personne. Par conséquent, en temps de guerre, ce n’est pas la femme qui est punie, mais son mari qui n’a pas su la protéger, elle et ses enfants. Dans les pays où les femmes sont émancipées, l’agresseur s’en prend à la femme en tant que personne mais là, c’est une autre histoire.

Dans la guerre qui s’est déroulée en ex-Yougoslavie, je crois qu’il y a eu des éléments d’agression envers les femmes et les enfants qui étaient des moyens d’atteindre les hommes, certes, mais aussi une manière de s’en prendre au pays tout entier. Je citerai quelques cas plus loin.

En guise d’introduction, je me propose de présenter ici les résultats d’une recherche que j’ai effectuée avant la guerre, en 1989. Je travaillais à l’époque dans un hôpital militaire, à Zagreb, capitale de la Croatie, dans le service de psychiatrie. Le service recevait essentiellement de jeunes soldats en crise, incapables qu’ils étaient d’accepter l’armée, son organisation et la séparation d’avec leur famille. J’ai analysé les différences à l’aide de tableaux cliniques établis par nationalité. En ex-Yougoslavie, la loi interdisait aux jeunes hommes de faire leur service militaire dans leur pays d’origine. Je n’ai donc étudié que des soldats venant d’autres républiques: Slovénie, Bosnie-Herzégovine , «ex-République yougoslave de Macédoine», Serbie et Kosovo. J’avais constitué un échantillon de jeunes soldats âgés de 18-19 ans, qui avaient terminé, ou presque terminé, leurs études secondaires. Ils se trouvaient donc tous dans une république étrangère et dans une ville inconnue, mais les organisations militaires étaient quasiment identiques. Les réactions de ceux qui ne pouvaient accepter la structure, les conditions et la séparation d’avec leur famille variaient selon leur nationalité et l’analyse montre qu’elles étaient caractéristiques de l’histoire de leur république d’origine. Certains types de comportement avaient des corrélations statistiquement significatives avec la nationalité. Le comportement le plus courant était marqué par l’agressivité, l’alcoolisme, la dépression et des tentives de suicide. Deux ans plus tard la guerre éclatait, et j’ai eu la confirmation que mon échantillon reflétait les caractéristiques générales de la population des républiques étudiées désormais en guerre. Si j’insiste sur ce fait, c’est pour que l’on saisisse mieux pourquoi certaines choses se produisent dans un conflit et pourquoi la guerre a été si cruelle dans certaines zones de l’«ex-Yougoslavie».

Cas 1

Une femme musulmane, âgée de 36 ans, originaire d’un village de Bosnie centrale à population mélangée, arriva pour suivre une thérapie, après s’être enfuie avec ses deux enfants, un petit garçon de 10 ans et une fillette de 7 ans. Son médecin me l’avait envoyée en raison de ses symptômes dépressifs.

De son anamnésie, il est ressorti que, avant la guerre, ses voisins étaient musulmans et serbes. Ils avaient des rapports amicaux et leurs enfants étaient élevés ensemble. Vint la guerre qui divisa Serbes et Musulmans. Les hommes de confession musulmane durent s’enfuir du village pour ne pas être tués en laissant derrière eux leurs femmes et leurs enfants. Ma patiente fut emmenée avec ses enfants dans les montagnes, dans une ferme où campait un groupe de soldats serbes, commandé par son voisin. Elle fut violée quotidiennement trois mois durant, surtout par son voisin sous les yeux de ses enfants. Les viols étaient paticulièrement brutaux et agressifs au retour des combats où nombre de militaires avaient été tués ou blessés. Quand cette femme demanda à leur chef, son ex-voisin, pourquoi il se conduisait de la sorte, alors que naguère elle était comme une soeur pour lui, il répondit: «... c’était avant, maintenant tu es une putain “ustaska”. A présent ton mari se bat avec Tujman, mais on verra la tête qu’il fera quand nous lui raconterons ce que nous avons fait à sa femme».

Ma patiente ne fit presque aucun progrès durant sa thérapie; elle était tombée dans une dépression profonde et suicidaire. Lors d’un entretien elle me dit : «Ne vous occupez pas de moi. Je ne veux pas vivre parce que je ne peux plus regarder mon fils en face à cause de la honte que je lui ai causée». Plus tard, elle est partie pour la Suède et j’ignore ce qui lui est arrivé ensuite.

La dépression et les pensées suicidaires sont des réactions à la honte que son viol avait causé à son fils. Cela prouve qu’agresser une femme est une attaque qui vise essentiellement l’homme. Il existe de nombreux exemples où des femmes ont été jetées dans un camp de détention et violées tous les jours. Quand elles tombaient enceintes, on les gardait dans le camp jusqu’au moment où elles étaient sur le point d’accoucher. On les renvoyait alors en Croatie pour se montrer à leur maris et à leurs fils avec ce message: «...maintenant votre mari devra nourrir un petit Serbe» ou bien «votre mari ne pourra plus jamais dormir tranquille après vous avoir vue comme ça». Certaines de ces femmes essayèrent de se suicider après leur retour en Croatie et d’autres abandonnèrent leur enfant dès sa naissance, en refusant de le voir.

Cas 2

Deux sœurs de Vukovar, une ville croate en ruines, furent jetées dans un camp de détention dans cette ville. L’une était âgée de 17 ans et avait une petite fille de quelques mois; sa soeur était une fillette de 7 ans. Le mari de la soeur aînée était un soldat croate. La jeune femme fut violée tous les jours dans le camp devant sa petite soeur qui devait tenir le bébé et l’empêcher de pleurer parce que «si le bébé pleurait, ils la tueraient». Les violeurs passaient leur temps à envoyer des messages à son mari sur le front pour lui apprendre ce qu’ils faisaient à sa femme. Plus tard, la petite soeur fut violée à son tour.

J’ai présenté ces cas pour tenter d’expliquer le processus d’une violence dont le but est de toucher l’ennemi là où il est le plus vulnérable. Des femmes m’ont dit qu’il y avait des soldats serbes qui refusaient de participer à ces viols, mais alors on les menaçait de mort. La politique de cette guerre consistait donc à détruire l’ennemi, à mettre à mal sa femme et ses enfants, à détruire les églises, les racines, les cimetières, à détruire l’avenir.

Conclusion

La question à laquelle nous voulons qu’on réponde demeure encore sans réponse:

D’où vient cette agressivité masculine envers les femmes et les enfants en temps de guerre?

A mon avis, les causes sont les suivantes:

- la politique et les manipulations des individus par des politiciens qui font intervenir des facteurs socioculturels et des caractéristiques psychologiques;
- la peur;
- les effets de l’alcool et de la drogue;

4.             les actes de personnes psychologiquement déviantes, poussées dans la guerre par des politiciens qui souvent récompensent leur comportement.

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