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 Table des matières  du séminaire du COE - 7-8 octobre 1999
Les hommes et la violence à l'égard des femmes

Mais où sont les hommes? Les politiques menées au niveau national en matière de lutte contre la violence à l’égard des femmes dans l’Espagne post-franquiste (1975-1999)

Celia VALIENTE, Université Carlos III de Madrid, Espagne

Dans l’Espagne post-franquiste (1975-1999), les politiques en matière de lutte contre la violence à l’égard des femmes (ci-après dénommées politiques de LCVEF) ressemblent aux politiques de LCVEF menées au cours des dernières décennies dans d’autres Etats membres de l’Union européenne (UE)
28. Ces mesures étaient principalement de deux ordres: l’institution de réformes juridiques visant à qualifier les violences contre les femmes d’actes illégaux et délictueux; et la mise en place de services sociaux destinés aux victimes de la violence, par exemple les foyers de femmes battues. En Espagne, les politiques de LCVEF n’ont que partiellement réussi en raison des difficultés rencontrées pour les mettre en œuvre. Des mesures sont arrêtées mais ne sont guère appliquées. Dans le présent document, je soulève un autre problème (moins important que le premier) lié aux politiques espagnoles de LCVEF. La plupart de ces mesures visent les victimes, à savoir les femmes, et non les hommes auteurs des violences qui sont la cause du problème.

La première partie du présent document (qui est la plus longue) décrit les principales mesures de LCVEF prises en Espagne depuis 1975. La deuxième partie explique que ces mesures s’adressent principalement aux femmes et, dans une moindre mesure, aux hommes. La troisième partie présente les lacunes de mise en œuvre des mesures de LCVEF
29.

LES POLITIQUES MENEES AU NIVEAU NATIONAL EN MATIERE DE LUTTE CONTRE LA VIOLENCE A L’EGARD DES FEMMES EN ESPAGNE
30

Au sens large, la définition du phénomène de la violence à l’égard des femmes «englobe tout acte de force verbale ou physique, de contrainte ou de privation pouvant menacer la vie, perpétré contre une femme ou une fillette et lui causant un préjudice physique ou psychologique, une humiliation ou une privation arbitraire de sa liberté et perpétuant la subordination des femmes» (Heise et autres, 1994: 1165). Toutefois, pour des raisons d’économie d’espace, de temps et de ressources, la présente étude s’intéresse aux mesures visant les comportements violents suivants dont sont victimes des femmes adultes : le viol et toute autre forme d’agression sexuelle, ainsi que la violence familiale, à savoir la violence commise au sein de la famille. D’autres types de comportement violent, tels que la prostitution forcée, le harcèlement sexuel dans le cadre professionnel, les mutilations sexuelles et les sévices sexuels contre les fillettes, ne sont pas examinés dans ce document.

Comme on l’a fait observer ci-dessus, les principales mesures de LCVEF prises en Espagne sont de deux ordres: l’institution de réformes juridiques et la mise en place de services d’aide aux femmes victimes de violences. L’élaboration et la mise en œuvre des politiques de LCVEF ont pris un certain retard en Espagne par rapport aux autres pays occidentaux, retard dû en partie au fait que du milieu des années 30 à 1975, l’Espagne a été gouvernée par un régime autoritaire de droite qui s’est distingué par son anti-féminisme.

Réformes juridiques

Les réformes juridiques constituent le volet le plus important des politiques de LCVEF en Espagne. Le système juridique espagnol est un système de droit écrit. Dans les systèmes de «common law» (par exemple ceux du Royaume-Uni et des Etats-Unis), les juges élaborent une jurisprudence et l’importance est donnée aux précédents. En revanche, dans les systèmes de droit écrit, les juges sont censés appliquer les principes du code et de la législation. La source du droit n’est donc pas le précédent mais ce qui est énoncé dans le code et autres textes de loi. D’où l’importance, pour l’Espagne, de réformer le droit et notamment le code pénal. Ce dernier définit les comportements les plus répréhensibles dans une société moderne, tels que le meurtre, le viol ou le vol et prévoit des sanctions pour ces délits.

Dans le code pénal, les divers actes violents commis contre les femmes sont qualifiés soit de délits mineurs (faltas) soit de délits graves (delitos)
31, passibles chacun d’une peine (pena) qui est moins sévère dans le premier cas. De 1975 à 1989, les agressions sexuelles contre les femmes appartenaient encore à la catégorie de «délits contre la décence» (delitos contra la honestidad). Plus précisément, la plupart des agressions sexuelles commises contre des femmes adultes dès qu’elles n’étaient pas des viols étaient encore appelées «abus indécents» (abusos deshonestos). Cette terminologie reflétait le fait que, pour les dirigeants politiques, les auteurs de violences commettaient ces agressions contre la décence ou la chasteté des femmes et non contre la liberté des femmes à décider d’avoir ou non des relations sexuelles32. Par ailleurs, le viol était défini de manière très restrictive parce qu’il ne concernait que les rapports vaginaux hétérosexuels et non pas les rapports anaux ou oraux et que la loi prévoyait que seuls des hommes pouvaient violer des femmes. En outre, dans tous les cas d’agressions sexuelles contre des femmes (y compris le viol), si la victime «pardonnait» à l’auteur de l’agression, aucune poursuite ne pouvait avoir lieu.

Il convient de noter que le divorce a été institué en Espagne en 1981 (loi n°30 du 7 juillet)
33. Il s’ensuit que si l’auteur d’actes de violence contre une femme était son mari, elle ne pouvait pas jusqu’en 1981 obtenir le divorce, et, par conséquent, devait rester légalement mariée au mari violent (bien que peut-être séparée de celui-ci).

Une importante réforme du code pénal a eu lieu en 1983 (loi organique
34 n°8 du 21 juin) qui prévoyait que, même si des victimes de viols (et non d’autres types d’agressions sexuelles) pardonnaient à leurs agresseurs, ceux-ci encouraient encore des sanctions légales.

Relevons que, jusqu’en 1985, l’avortement était un crime en Espagne dans toutes les circonstances, passible dans la plupart des cas d’une peine d’emprisonnement qui allait de 6 mois à 6 ans, assortie de l’interdiction pour les professionnels de la santé d’exercer leur profession dans des établissements publics et privés. Par conséquent, si une femme était enceinte à la suite d’un viol, elle devait, selon le code pénal, donner naissance à l’enfant. La loi organique n°9 du 5 juillet 1985 permet néanmoins l’avortement dans trois circonstances: lorsque la femme a été violée, lorsque la grossesse met sérieusement la vie de la mère en danger et lorsque le fœtus est mal formé.

Une réforme importante du code pénal portant sur la violence contre les femmes est intervenue en 1989 (loi organique n°3 du 21 juillet), qui instituait des changements déjà advenus dans d’autres pays. Les agressions sexuelles n’étaient plus qualifiées de «crimes contre la décence» mais de «crimes contre la liberté sexuelle» (delitos contra la libertad sexual). De même, certaines agressions sexuelles autres que le viol n’étaient plus qualifiées «d’abus indécents» mais d’agressions sexuelles (agresiones sexuales). Par ailleurs, la notion de viol a été élargie aux rapports anaux et oraux et ne se limite plus aux rapports vaginaux. Toutefois, il fallait qu’il y ait pénétration par le pénis pour qualifier légalement une agression de viol. Cette condition a eu immédiatement deux conséquences: une agression sexuelle avec pénétration d’objet n’était pas considérée comme un viol, et les hommes pouvaient violer des femmes et des hommes mais les femmes ne pouvaient violer que des hommes (Bustos, 1991: 115; Cabo, 1993: 261). De 1989 à la réforme suivante (1995), le viol, comme l’homicide, était puni en Espagne d’une peine d’emprisonnement qui allait de 12 à 20 ans, et l’agression sexuelle d’une peine d’emprisonnement qui allait de 6 mois à 12 ans. Dans les deux cas, l’auteur devait verser une indemnité financière à la victime. Il convient de rappeler un autre fait: le viol et les autres agressions sexuelles étaient des crimes définis en droit indépendamment du statut conjugal ou professionnel des victimes, par exemple, sans tenir compte du fait que l’auteur était le mari de la victime ou que celle-ci était une prostituée (Bustos, 1991: 115). Ensuite, le «pardon» accordé par les victimes pour tout crime contre la liberté sexuelle (et pas seulement dans le cas du viol, comme la loi le prévoyait en 1983), n’annulait pas la sanction d’un tel comportement.

L’article 425 du code pénal réformé en 1989 qualifiait de crime et non de délit, contrairement à la définition légale du passé, les violences familiales physiques répétées commises contre les femmes par leur mari ou leur concubin. Par «répétés» (habitual), on entendait des actes de violence qui avaient été commis au moins trois fois (Bustos, 1991: 65; Cabo, 1993: 229). Le crime de violence familiale physique répétée était puni d’une peine d’emprisonnement de 1 à 6 mois.

Enfin, depuis la réforme de 1989, les fonctionnaires (par exemple les gardiens de prison) qui profitent du pouvoir et de l’influence que leur donne leur profession pour exiger des faveurs sexuelles de leurs clients ou de leurs parents, sont punis plus sévèrement qu’auparavant (López, 1992: 317-323).

Une autre réforme juridique importante portant sur la violence à l’égard des femmes a eu lieu en 1995 (loi 10 du 23 novembre), avec l’institution du nouveau code pénal (le code en vigueur était une version modifiée de celui institué en 1848). Le terme «viol» a disparu du code pénal. Depuis 1995, le viol et les agressions sexuelles sont qualifiés d’«agressions sexuelles». La définition de ce que l’on appelait «viol» avant 1995 a été de nouveau élargie à la pénétration avec des objets. L’agression désignée jusqu’en 1995 par le terme «viol» est désormais punie par une peine d’emprisonnement maximum moins longue (12 ans au lieu de 20). Les agressions sexuelles collectives sont explicitement définies par le code pénal comme des actes commis par trois personnes ou plus, et sont sanctionnées par des peines d’emprisonnement plus longues. La peine pour le crime de violence familiale physique répétée a été augmentée (6 mois à 3 ans de prison au lieu de 1 à 8 mois). En outre, le code pénal de 1995 prévoit qu’une procédure judiciaire pour agressions sexuelles, sévices sexuels ou harcèlement sexuel peut être engagée par le ministère public (avant 1995, il fallait que la victime porte plainte).

Le 30 avril 1998, le Conseil des ministres a approuvé un plan d’action contre la violence familiale (Instituto de la Mujer, 1998), qui a été élaboré sous la direction de la principale institution «féministe» de l’Etat central, l’Institut de la femme (Instituto de la Mujer)
35. Ce plan d’action contient des propositions de mesures visant à lutter contre la violence à l’égard des femmes et à organiser la prévention, l’éducation, les services d’aide aux victimes, la santé, les réformes juridiques et la recherche.

Le plan d’action contre la violence familiale a débouché sur des réformes juridiques. Le 9 juin 1999 (loi organique 14), le code pénal de 1995 et la loi sur l’acte d’accusation pénale (Ley de enjuiciamiento criminal) ont été modifiés sur les questions relatives à la violence familiale. Le crime de violence psychologique répétée au foyer a été défini (jusqu’alors, le code pénal ne définissait que la violence physique). De nouvelles peines pour les agresseurs ont été instituées: l’interdiction de s’approcher de la victime, de communiquer avec elle ou de vivre à proximité de celle-ci afin d’éviter une répétition du comportement violent. C’est une des rares fois où l’Etat tente de prévenir la violence plutôt que d’intervenir après que des agressions violentes ont eu lieu.

En juin 1999, il a été stipulé que les juges ne pouvaient pas imposer d’amende aux hommes violents si cette sanction économique touchait la victime ou sa famille. Il faut garder à l’esprit que le régime matrimonial le plus courant en Espagne est le régime de la communauté des biens. Sous ce régime, chaque conjoint possède la moitié des biens communs, à savoir tous les biens et revenus acquis par l’un ou l’autre des conjoints depuis leur mariage. Si, dans cette situation, un mari violent doit payer une amende, il la paie généralement avec les biens communs dont la moitié appartient à sa femme. Ainsi, cette amende porte atteinte à la situation financière de son épouse qui peut avoir été elle-même la victime des violences. Enfin, depuis 1999, pour certaines affaires de délits potentiels (par exemple des menaces) le ministère public n’a plus besoin qu’une plainte soit déposée par la victime pour engager des poursuites (ce qui n’était pas le cas auparavant).

Une des mesures fondamentales prises parallèlement aux réformes juridiques a été de collecter des statistiques sur les cas signalés d’agressions violentes contre les femmes. Ces statistiques, par exemple dans le cas de la violence familiale, étaient pratiquement inexistantes en Espagne jusqu’en 1983. Les associations de femmes et les institutions de protection de la femme ont demandé instamment aux forces de police et à la garde civile (force de police qui travaille principalement dans les zones rurales) de collecter des données sur les cas signalés d’agressions où les victimes étaient des femmes (Gutiérrez, 1990: 129). Toutefois, il convient de garder à l’esprit que les statistiques espagnoles sur cette question, comme dans de nombreux autres pays, ne portent que sur les cas signalés
36. En Espagne, comme dans de nombreux autres pays (Kornblit, 1994: 1181), de nombreux cas ne sont pas signalés, ce qui fait que les estimations du nombre de cas réels ne sont qu’approximatives. Toutefois, la magistrature a été invitée à collecter des données sur les décisions de justice (sentencias) concernant les affaires de violences à l’égard de femmes (Gutiérrez, 1989: 9). Il en a été de même pour le personnel des services sociaux travaillant par exemple dans les foyers de femmes battues (Sénat espagnol, 1989: 12185-12187). Il convient de relever que même à la fin des années 90 toutes ces statistiques restent encore généralement incomplètes et difficiles à comparer (Defensor del Pueblo, 1998).

A ma connaissance, aucune étude de prévalence sur la violence à l’égard des femmes en Espagne n’a encore été publiée. On dispose toutefois d’informations fragmentaires qui montrent que la violence à l’égard des femmes est un phénomène très répandu. Par exemple, en 1990, presque trois adultes espagnols (hommes et femmes confondus) sur dix (soit 29 %) avaient connaissance de cas de violences familiales à l’égard de femmes (Cruz et Cabo, 1991: 107-108).

Services d’aide aux victimes de violences

Les services destinés aux femmes victimes de violence consistent principalement à diffuser des informations sur les droits des femmes et à prendre des mesures de protection des victimes. La diffusion de l’information est importante parce que les femmes ne peuvent se défendre efficacement contre les agressions que si elles connaissent leurs droits (notamment le fait que personne n’a le droit de leur faire subir des violences). En outre, il est utile qu’elles sachent quels services sociaux et autres ressources sont mis à leur disposition si elles sont victimes de violence. A cet égard, la principale institution publique féministe de l’Etat central, l’Institut de la femme (Instituto de la Mujer) fondé en 1983, a mis en place et gère des centres d’informations sur les droits de la femme dans certaines villes, où les citoyens peuvent obtenir des informations sur les droits des femmes en général (et pas seulement lorsqu’elles sont confrontées à la violence), informations qu’ils peuvent demander en personne, par téléphone ou par courrier
37. En outre, une ligne téléphonique d’informations gratuite sur les droits des femmes a été créée en 1991 dans le but d’atteindre les femmes qui ne vivent pas en milieu urbain.

En plus des services généraux d’informations, l’Institut de la femme a organisé plusieurs campagnes d’informations sur la question de la violence contre les femmes (Gutiérrez, 1990: 125; Threlfall, 1985: 63). Les deux dernières campagnes d’information et de sensibilisation ont été lancées respectivement au printemps et à l’automne 1998. La première montrait des images dramatiques de femmes agressées. La deuxième a été lancée par la Confédération espagnole des associations de quartier (Confederación Española de Vecinos del Estado Español), l’Institut de la femme, le ministère de l’Intérieur et le ministère du Travail et des Affaires sociales. Son slogan était: «S’il te bat, il ne t’aime pas. Aime-toi! Porte plainte contre lui!» (Si te pega no te quiere. Quiérete tú. Denúnciale) (El País 14 octobre 1998: 31).

En général, les services d’aide aux femmes victimes de violences ont été créés plus tard et ils sont actuellement moins développés en Espagne que dans d’autres pays, comme tous les services sociaux en général. Si, en Espagne, les réformes juridiques sont (sur le papier) assez complètes, les services d’aide aux victimes sont encore clairement insuffisants (Defensor del Pueblo, 1998). L’Etat ne fournit pas toujours directement tous ces services aux victimes de violences. Dans de nombreux cas, l’Etat subventionne les organisations non gouvernementales à but non lucratif s’occupant des femmes, qui proposent des services d’aide aux victimes.

Les services d’aide aux victimes les plus connus sont les foyers de femmes battues (casas de acogida de mujeres maltratadas) (Instituto de la Mujer, 1986: 22; Scanlon, 1990: 99). Les premiers ont été créés en 1984, et, en 1997, l’Espagne comptait 129 foyers (Instituto de la Mujer, 1997 : 117)
38. A la fin des années 1990, il existait un foyer pour 302 000 habitants en Espagne. Cette proportion reste inférieure à celle recommandée par une résolution du Parlement européen en 1997, à savoir 1 foyer pour 100 000 habitants. La répartition des foyers espagnols est géographiquement inégale et seule une région (Castilla y León) dispose du nombre adéquat de foyers proportionnellement à sa population (Defensor del Pueblo, 1998). Les foyers sont gérés par l’Etat, par les collectivités locales et régionales et par les organisations de la société civile. Comme dans d’autres pays, les foyers sont surtout des logements temporaires sûrs pour les femmes victimes de violences et leurs enfants. En outre, les femmes bénéficient d’autres services qui vont de l’aide judiciaire au soutien psychologique et à la formation professionnelle dans le but de les aider à commencer une nouvelle vie, loin des auteurs de violences.

L’Etat central accorde également des subventions à des groupes de femmes actives à l’échelon national pour l’élaboration de projets destinés aux femmes et concernant de nombreux sujets, dont la violence. En Espagne, la question de la violence contre les femmes n’était en général pas une priorité du militantisme féministe jusqu’à la fin des années 70 ou au début des années 80, époque à laquelle certaines féministes ont «découvert» le problème de la violence contre les femmes, dans certains cas fortuitement (Threlfall, 1985: 62-63). Par exemple, les militantes de l’Association des femmes séparées et divorcées (Asociación de Mujeres Separadas y Divorciadas) qui apporte une écoute et des conseils juridiques aux femmes souhaitant entamer une procédure de séparation et/ou de divorce, ont découvert que nombre de leurs clientes voulaient surtout échapper à une situation de grande violence familiale. En 1982, un groupe de femmes qui apportait une aide directe aux victimes de violences créa la Commission d’enquête sur les mauvais traitements contre les femmes (Comisión para la Investigación de los Malos Tratos a las Mujeres). Cette commission était principalement composée de travailleurs sociaux, de psychologues et d’avocats qui commencèrent à faire pression sur les dirigeants politiques pour que soient élaborées de nouvelles mesures de LCVEF et que soient mises en œuvre celles qui existaient déjà. D’autres organisations féministes spécialisées dans la question de la violence contre les femmes sont nées surtout à partir du milieu des années 80: par exemple l’Association d’aide aux femmes violées (Asociación de Asistencia a Mujeres Violadas) ou la Commission anti-agression (Comisión Anti-Agresiones) et bien d’autres encore.

Depuis sa création, l’Institut de la femme avait placé en tête de ses priorités la question de la violence à l’encontre des femmes (Gutiérrez, 1990: 124). Environ 10 à 15 % du budget de l’Institut de la femme servaient à subventionner des organisations de femmes (intervenant dans tous les domaines et pas seulement en matière de violence)
39. Les organisations féministes gèrent des foyers et ont mis en place d’autres programmes et de nouveaux services tels que des lignes d’assistance téléphonique pour les victimes de viols, un soutien psychologique pour les victimes de violences ou des ateliers de formation visant à sensibiliser les forces de police à la violence à l’égard des femmes. Il convient de souligner que ces actions très utiles ont été menées certaines années (mais ont parfois été supprimées) dans certaines régions espagnoles (où il existe des organisations de femmes spécialisées dans le domaine de la violence), mais pas dans toutes.

Les commissariats de police ou certaines unités au sein de ces commissariats proposent également des services d’aide aux femmes victimes de violences. Depuis 1988, il existe à Barcelone un commissariat de police consacré exclusivement aux affaires de violence contre les femmes, et ne comprenant que des agents de police féminins. On a également créé, au sein des commissariats, des services spécialisés en ce domaine qui comprennent des femmes policiers. Ces services sont appelés services d’assistance aux femmes (Servicios de Atención a la Mujer). En 1998, il en existait dans 16 villes, et, à la fin de l’année en cours, de nouveaux services doivent être créés dans 9 autres villes. Depuis 1998, des services analogues existent aussi dans les postes de la garde civile dans 15 provinces; ils portent le nom d’Equipes pour les femmes et les mineurs (Equipos de Mujeres y Menores) (El País 16 mars 1998: 31).

En conclusion, depuis 1975 les principales mesures prises en Espagne pour lutter contre la violence à l’égard des femmes ont consisté en des réformes juridiques, et, dans une moindre mesure, en des services d’aide aux femmes. Les premières ont permis de qualifier les agressions contre les femmes de délits mineurs ou de délits graves et ont prévu des peines correspondantes. Les deuxièmes tentent de soutenir et de protéger les victimes.

LES HOMMES ET LES POLITIQUES DE LUTTE CONTRE LA VIOLENCE A L’EGARD DES FEMMES

En Espagne, un des problèmes (ce n’est pas le principal) est que la plupart des politiques de LCVEF visent dans la pratique les femmes battues ou ayant subi des agressions sexuelles, mais ne s’occupent guère (si même elles le font) des hommes violents qu’au terme du processus d’application des mesures. Je prendrai le cas des femmes battues pour étayer cet argument. L’élaboration des mesures de lutte contre la violence familiale part de l’hypothèse suivante: la femme battue doit jouer un rôle actif dans la résolution de «son» problème. Dans tous les Etats membres de l’Union européenne, c’est elle qui doit porter plainte, se faire examiner par un médecin pour faire constater le préjudice subi, entamer des poursuites et quitter son domicile pour se protéger contre la personne violente. L’Etat a mis en place tout un arsenal de mesures de LCVEF autour de la victime. Il a lancé des campagnes à son intention pour l’encourager ainsi que d’autres victimes à ne plus supporter les agressions dans leur cadre familial et à oser porter plainte. Il a mis en place des procédures pour traiter ces plaintes, a formé des médecins à constater les préjudices subis, a élaboré des procédures judiciaires permettant de juger les crimes et les délits, et a créé des foyers. Ce n’est que dans la dernière phase d’une procédure judiciaire (si elle a lieu) que l’Etat s’intéresse au conjoint violent, à savoir lorsque ses actes sont jugés par un tribunal, encore que, dans la plupart des cas, les hommes violents bénéficient d’un non-lieu.

Je ne veux pas dire que les mesures s’adressant aux victimes ne sont pas nécessaires ni qu’elles devraient être supprimées. Bien au contraire, de nombreuses femmes ne sont guère protégées par l’Etat. Par exemple, les féministes n’ont cessé de se plaindre de la protection insuffisante accordée aux victimes par la police et la garde civile, notamment en cas de violences familiales. Parfois, les forces de l’ordre ont tardé à intervenir, précisément en cas de violences commises contre des femmes (Cova et Arozena, 1985: 36). De plus, elles n’ont pas suffisamment protégé des femmes victimes d’agressions violentes répétées. Nombre de ces femmes en sont mortes ou ont été grièvement blessées. Selon le rapport de 1998 du Médiateur sur la violence familiale (Defensor del Pueblo, 1998), 89 des 91 femmes tuées par leur conjoint ou concubin en 1997 avaient porté plainte pour violences familiales contre leurs agresseurs. L’Etat espagnol ne les a pas protégées contre les hommes violents qui les ont tuées (Asociación de Mujeres Juristas Themis, 1999). Mon argument est que, pour lutter contre la violence, il est nécessaire de mettre en œuvre une politique comportant au moins deux volets. Premièrement, des programmes visant à aider et à protéger les victimes; deuxièmement, des mesures propres à éradiquer le comportement violent des hommes auteurs de ces violences. Le premier volet est naturellement insuffisant si on fait l’impasse sur le deuxième.

Les statistiques constituent un autre exemple illustrant que les mesures de LCVEF sont principalement destinées aux femmes victimes, mais rarement aux hommes qui commettent les violences. Les statistiques donnent avant tout des indications sur les femmes ayant subi des violences (mais pas sur les hommes auteurs de ces violences). Par exemple, s’agissant de la violence familiale, les statistiques font état du nombre de plaintes déposées par les femmes battues, du nombre d’années en moyenne où les femmes supportent des agressions sexuelles sans oser porter plainte, du nombre de femmes se réfugiant dans des foyers et du nombre moyen de jours qu’elles y passent. Ces statistiques contiennent généralement beaucoup moins d’informations sur les hommes violents. Par exemple, elles ne nous signalent pas certains faits essentiels comme le nombre d’hommes violents ou la date à laquelle ils commencent à adopter un comportement violent à l’égard des femmes.

Les campagnes d’information et de sensibilisation démontrent également que les mesures de LCVEF s’adressent principalement aux femmes (c’est-à-dire aux victimes). La plupart des campagnes lancées par l’Etat espagnol visent principalement les femmes victimes de violences. Toutes les campagnes tentent de les encourager à dénoncer leurs agresseurs. L’Espagne compte peu de campagnes s’adressant aux hommes en les encourageant à ne pas se comporter violemment avec les femmes (par exemple, en proclamant qu’agresser des femmes est un comportement honteux, répréhensible et intolérable).

En Espagne, il existe très peu de programmes pour les hommes auteurs de violences contre les femmes. Des traitements pour les violeurs et les auteurs d’agressions sexuelles (mais très peu pour les hommes battant les femmes) existent dans certaines prisons. Il s’agit d’expériences pilotes qui sont peu nombreuses et n’ont pas encore été généralisées à l’ensemble des prisons. Ces programmes sont volontaires. La piètre qualité et le petit nombre des programmes destinés aux hommes violents ont été dénoncés en 1988 par les médias et par de nombreuses personnes, y compris des professionnels qui d’une manière ou d’une autre travaillent avec des hommes violents, par exemple, des psychologues qui élaborent des rapports sur la santé mentale d’auteurs présumés de crimes, utilisés lors des procès (El País 30 mars 1998: Madrid 4). Cette dénonciation par les médias a été particulièrement forte en 1998 avec l’affaire du «violeur du quartier neuf» (El violador del Ensanche), d’après le nom du quartier de Barcelone où il a commis les 140 agressions sexuelles qu’il a avouées. Conformément à une décision correcte sur le plan légal, il a été libéré en 1998 après 15 ans de prison. Le juge a estimé qu’il était encore dangereux. Pendant son séjour en prison, il a systématiquement refusé d’entreprendre un traitement psychologique pour hommes violents (El País, 18 octobre 1998: 17).

En général, et à quelques exceptions près, l’Etat ne s’occupe pas de la prévention des actes violents contre les femmes mais intervient seulement après que la violence a eu lieu. C’est l’une des raisons pour lesquelles les actions publiques s’intéressent surtout à la victime en l’encourageant à porter plainte et à engager une procédure judiciaire. Si l’Etat voulait prévenir la violence, il prendrait davantage de mesures à l’encontre des hommes qui sont, dans la plupart des cas, les agresseurs, et qui restent des agresseurs potentiels
40. Par exemple, l’Etat devrait lancer des programmes importants dans les écoles pour apprendre aux mineurs à résoudre les conflits par la négociation plutôt que par l’intimidation et la violence. L’Etat devrait mettre en œuvre des programmes de réadaptation pour les hommes violents dans des cadres variés et pas seulement dans les prisons. L’Etat devrait également redoubler d’efforts dans le domaine de la communication médiatique, en lançant des actions de prévention de la violence conjointement avec les médias. Il n’existe que des projets de recherche pilotes sur ce type de mesures à l’intention des hommes, et ils n’ont tous qu’un caractère volontaire et expérimental. Par exemple, en 1998 le gouvernement a commencé à parler dans les médias, notamment à la télévision, de prévention de la violence(El País 15 octobre 1998 : 28).

En conclusion, le présent document entend montrer qu’il est relativement inefficace d’axer les mesures de LCVEF principalement sur les femmes alors que ce sont les hommes qui sont à l’origine du problème.

LES DIFFICULTES DE MISE EN OEUVRE DES MESURES DE LUTTE CONTRE LA VIOLENCE A L’EGARD DES FEMMES

Comme cela a déjà été noté (Asociación de Mujeres Juristas Themis, 1999; Defensor del Pueblo, 1998; Valiente, 1996), les déficiences observées en matière de mise en œuvre des mesures de LCVEF en Espagne expliquent leur faible efficacité. Je prendrai le cas du fonctionnement du système judiciaire pour illustrer la faible mise en œuvre des mesures de LCVEF. Ce fonctionnement est considéré par certains comme l’obstacle majeur à la bonne mise en œuvre des mesures à l’encontre des auteurs d’agressions violentes contre les femmes (Asociación de Mujeres Juristas Themis, 1999; Gutiérrez, 1989: 42-43; Threlfall, 1985: 61). Les défenseurs des femmes se sont plaints à maintes reprises de la légèreté et la lenteur (contraires à la loi) avec lesquelles les médecins légistes examinent les victimes (Asociación Española de Mujeres Separadas y Divorciadas, 1985: 23; Gutiérrez, 1989: 25-26). En outre, les féministes ont déploré le grand nombre de plaintes concernant des agressions violentes contre les femmes (surtout dans le cas de la violence familiale) que les juges des juridictions inférieures ont considérées comme des délits mineurs et non comme des délits graves, et pour lesquelles des peines correspondantes ont été prononcées
41. En outre, les féministes ont souvent dénoncé la proportion des affaires dans lesquelles les hommes violents ne sont pas condamnés: c’est le cas par exemple de 82 % des hommes qui avaient fait l’objet de plaintes pour violences familiales dans la région de Madrid entre 1992 et 1996 (Asociación de Mujeres Juristas Themis, 1999: 43-44).

Les féministes ont également dénoncé plusieurs pratiques courantes (illégales) lors des procès, qui font obstacle à l’objectif explicite des lois qui est de protéger les victimes avec efficacité et de punir les auteurs de violences. En premier lieu, comme l’ont expliqué Allison et Wrightsman (1993: 171-194) pour des procès pour viols aux Etats-Unis, et Sue Lees (1992) pour des procès pour meurtres en Grande-Bretagne, il est fréquent qu’un procès pour actes violents contre des femmes devienne le procès des victimes. Les victimes doivent souvent répondre à des questions liées à leur mode de vie ou à leur passé sexuel, car il est présumé que certaines femmes (par exemple celles qui sortent seules le soir, qui fréquentent des bars, qui n’ont pas de domicile fixe ni de partenaire stable, qui portent un certain style de vêtements ou qui sont considérées comme de mœurs légères) se mettent elles-mêmes dans une situation où elles courent le risque de subir des traitements violents en incitant indirectement les hommes à se comporter de cette manière. Les féministes ont réclamé avec insistance que les juges, le ministère public et les avocats n’enquêtent sur la vie privée des victimes que lorsque cela est strictement nécessaire. En effet, dans ce genre de procès, c’est le comportement violent de l’auteur présumé que l’on doit juger et non la vie intime de la victime (Instituto de la Mujer, 1985: 71-72). Une décision de la Cour suprême de justice (Tribunal Supremo), qui est la plus haute instance judiciaire pour tout ce qui ne relève pas des garanties constitutionnelles, a corroboré en 1990 les arguments des féministes en déclarant que la vie sexuelle de la victime antérieurement à son viol n’était pas pertinente pour le procès (El País, 5 novembre 1990: 29). Néanmoins, aujourd’hui encore, certains juges, procureurs et avocats enquêtent sur le passé sexuel de la victime sans que ne l’impose l’élucidation de l’affaire. Là encore, les actions de l’Etat pour lutter contre la violence à l’égard des femmes se concentrent sur les femmes même lorsque l’on juge des actes violents commis par des hommes.

Le mouvement féministe s’est aussi plaint de ce que le ministère public ne déploie guère d’efforts pour instruire, avant le procès, des actes violents commis contre les femmes, et abandonnent souvent les charges contre les auteurs présumés des violences (Asociación de Mujeres Juristas Themis, 1999; Baiges, 1985: 11; Cova et Arozena, 1985: 36). Il convient de souligner l’importance de ce phénomène, et le fait que lorsque les auteurs de violence sont jugés, ils sont condamnés à des peines égales ou inférieures à celles demandées par le ministère public. Les procureurs se sont montrés peu actifs en dépit des instructions répétées du Procureur général de l’Etat (Fiscal General del Estado) leur demandant d’engager des poursuites en cas d’agressions violentes contre les femmes - par exemple, en octobre 1998 (El País 17 octobre 1998).

Un autre cheval de bataille des féministes concernait le déroulement de l’audience et les questions posées aux femmes victimes de violences, surtout dans les affaires de viols. Le code pénal reste muet en la matière, mais en Espagne, comme dans de nombreux autres pays, il est fréquent de demander aux victimes des viols, pendant le procès, de prouver qu’elles ont résisté très activement à leurs agresseurs. Cette exigence de facto est paradoxale car les victimes d’autres crimes ou délits, par exemple de vols, n’ont pas à prouver qu’elles ont résisté au voleur. Après de nombreuses décisions de la Cour suprême de justice évoquant la grande résistance des victimes de viols, cette juridiction a affirmé dans une décision de 1987 que les victimes de viols n’avaient pas à prouver qu’elles avaient résisté «avec héroïsme» aux violeurs et qu’il suffisait de démontrer qu’elles avaient été intimidées ou menacées, par exemple avec un couteau (El País, 8 octobre 1987: 29). Si cette question semblait en théorie avoir été réglée, les féministes se sont plaintes de ce que, dans de nombreux procès, on demandait encore aux victimes de prouver qu’elles avaient résisté avec force aux violeurs. Cette exigence et les questions posées sur la résistance manifestée par les victimes avaient un caractère humiliant et gênant. Par exemple, en 1989, dans un procès pour viol, on a demandé à la victime présumée si, le jour du viol, elle portait des sous-vêtements. Selon le président du tribunal, la question était nécessaire pour évaluer comment le violeur présumé avait agi (et la victime résisté), compte tenu du fait qu’il avait un couteau à la main et que de l’autre il devait retirer les vêtements de la victime, acte rendu plus ou moins difficile selon le degré de résistance de celle-ci (El País 27 juin 1989: 24; 28 juin 1989: 31).

CONCLUSION

Le présent document décrit les principales mesures prises après 1975 pour lutter contre la violence à l’égard des femmes en Espagne. Les mesures de LCVEF sont principalement de deux ordres: des réformes juridiques qualifiant les agressions contre les femmes de délits mineurs ou de délits graves, et la mise en place de services de soutien et de protection des victimes. A quelques exceptions près, les réformes juridiques sont (sur le papier) assez complètes. En revanche, les services d’aide aux victimes sont encore insuffisants et pourraient être considérablement développés. Le principal problème dans ce domaine tient aux difficultés de mise en œuvre des mesures de LCVEF qui existent déjà. Un problème de moindre importance mais à ne pas négliger est que la plupart des mesures s’adressent aux femmes – qui sont dans la plupart des cas les victimes des violences -, mais pas aux hommes – qui en sont les auteurs. La lutte contre la violence à l’égard des femmes par des mesures visant ces dernières revient à lutter contre l’antisémitisme par des mesures protégeant les Juifs (plutôt qu’en empêchant les antisémites d’agresser ces derniers), ou à éradiquer le vol par des mesures protégeant l’ensemble de la population contre les voleurs (plutôt qu’en menant la vie dure à ces derniers).

Si le diagnostic sur les facteurs qui expliquent la piètre efficacité des mesures de LCVEF recensées dans ce document est juste, l’orientation des politiques recommandée pour l’avenir est claire. L’action de l’Etat dans ce domaine ne gagnera en efficacité que lorsque les programmes qui sont élaborés seront effectivement mis en œuvre. De plus, l’Etat devrait prendre davantage de mesures pour prévenir la violence (et donc des mesures axées sur les hommes).

Il y a 20 ou 30 ans, les féministes ont pris conscience dans tous les pays que les femmes vivent dans un monde violent. Par la suite, un nombre croissant de militants ont estimé que la résistance efficace au phénomène de la violence contre les femmes dans tous les pays devait concerner non seulement le mouvement des femmes mais aussi l’Etat (Heise et autres, 1994: 1174). Si la description, faite dans ce document des particularités et de la dynamique de ce champ d’intervention est exacte, on peut en conclure que l’aide directe apportée par les féministes aux victimes de violences continuera d’être utile et irremplaçable au cours des années à venir. En fait, c’est la stratégie que poursuivent les défenseurs des femmes en Espagne depuis trente ans. Non seulement l’aide directe aux victimes (et les programmes destinés à la population en général) n’a jamais été abandonnée, mais les programmes se sont multipliés ces dernières années. Il est encourageant aussi de constater que la question de la violence contre les femmes, ainsi que celle de l’avortement, sont encore des facteurs unificateurs permettant aux différents courants du mouvement féministe de travailler ensemble même si, sur d’autres questions, il est généralement très fragmenté.

On ignore si des programmes s’adressant aux hommes (agresseurs réels ou potentiels) seront mis sur pied en Espagne dans un proche avenir. L’élaboration de ce type de programmes est une question épineuse pour le mouvement féministe espagnol. Comme dans d’autres pays, différents courants pensent que l’adoption de mesures à l’intention des hommes entraînerait une diminution des ressources (elles sont déjà faibles) consacrées à la mise en place de programmes pour les victimes (principalement des femmes). Si les féministes ont acquis une certaine expérience en matière de dénonciation des violences commises à l’encontre des femmes et de gestion des services d’aide aux victimes, d’autres personnes ou professionnels (par exemple, les psychologues hommes ou les membres des mouvements de défense des hommes) peuvent également faire valoir une certaine expérience en matière de traitement des hommes violents. Si tel est le cas, nous assisterons probablement dans les années à venir à une bataille matérielle et symbolique dont l’enjeu sera le contrôle des moyens de lutte contre la violence à l’égard des femmes, et nous observerons d’autres évolutions moins prévisibles qui retiendront notre attention en tant que chercheurs et citoyens.

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28            Dans le présent document, les termes «politiques», «mesures» et «programmes» sont synonymes.

29             Le présent document s’inspire largement d’une analyse de sources secondaires, de textes de lois, de dossiers de presse, de documents politiques publiés et non publiés et de 17 entretiens personnels approfondis avec des acteurs sociaux et politiques intervenant dans le domaine de la lutte contre la violence à l’égard des femmes: quatre membres d’associations féministes, un juge, un membre des forces de l’ordre, trois gardes civils (policiers affectés principalement aux zones rurales), un travailleur social, deux employés d’un foyer de femmes battues, une femme victime de violences (viol), un médecin légiste, un médecin spécialisé dans l’examen des femmes victimes de violences et deux juristes spécialisés dans les mesures de LCVEF. Tous ces entretiens ont été réalisés à Madrid en mars 1995. Pour protéger l’anonymat des personnes interrogées, le présent document ne mentionne pas leurs noms. La présentation des mesures est une version mise à jour et révisée de la description publiée in Valiente (1996).

30             J’étudierai surtout les politiques menées au niveau national, considérées comme les plus importantes, à savoir celles qui touchent un grand nombre de femmes et/ou qui sont financées par des ressources publiques importantes et/ou qui sont très novatrices. La description des programmes n’est absolument pas exhaustive.

31          Les termes «offence» et «crime» sont tous deux traduits par «crime» dans ce document.

32          Ce type de terminologie a également joui d’une certaine faveur dans d’autres pays ayant des systèmes de droit écrit. Par exemple, en Italie, la violence sexuelle appartenait dans le code pénal à la catégorie des «atteintes à la morale publique et aux bonnes mœurs» (Addis, 1989: 2). En France, les agressions sexuelles étaient poursuivies au titre de l’article du code pénal qui portait sur «les atteintes aux bonnes mœurs» (Stetson, 1987: 163).

33         Le divorce existait déjà pendant le régime démocratique de la Deuxième République (1931-1936), mais il a été aboli par le régime autoritaire de droite qui a suivi.

34          Conformément à l’article 81 de la constitution de 1978, une loi organique (Ley orgánica) réglemente entre autres les droits fondamentaux et les libertés publiques. La majorité absolue de la chambre basse, dans un vote définitif sur l’ensemble du projet, est nécessaire pour l’approbation, la modification ou l’abrogation d’une loi organique. Pour une loi ordinaire (non organique), seule la majorité simple est requise.

35        Depuis les années 1960, des institutions ayant pour objet concret de promouvoir l’égalité des sexes ont été créées, développées (et parfois même supprimées) dans la plupart des pays industriels. Dans le domaine des sciences sociales, ces institutions de protection de la femme ont parfois été appelées «state feminist institutions» et les personnes qui y travaillent «state feminists» (Stetson et Mazur, 1995).

36        Nombre de viols signalés en Espagne: 1723 en 1989; 1789 en 1990; 1936 en 1991; et 1599 en 1992. Nombre d’agressions sexuelles signalées: 2502 en 1989; 2277 en 1990; 2282 en 1991; et 2335 en 1992. Enfin, nombre de cas signalés de violences conjugales contre les femmes: 13705 en 1984; 15681 en 1986; 15230 en 1987; 13644 en 1998; 17738 en 1989; 15654 en 1990; 15462 en 1991; 15184 en 1992; 15908 en 1993; 16284 en 1994; 16062 en 1995; et 16378 en 1996 (Instituto de la Mujer, 1994: 92-93; 1997).

37          Ces centres d’informations n’ont pas été créés à l’origine par l’Institut de la femme, car l’ancienne Subdirección General de la Mujer, qui dépendait du ministère de la Culture, avait déjà créé trois centres dont l’Institut a hérité. Le nombre de centres a continué d’augmenter. De 3 en 1984, il est passé à 11 depuis 1987.

38          Le premier foyer de femmes battues a été créé en 1971 en Grande-Bretagne (Connors, 1989: 34) et en 1974 aux Etats-Unis (Stout, 1992: 134).

39          La politique de l’Institut de la femme en matière de subventions accordées au mouvement des femmes est décrite dans Valiente (1995).

40          Selon une étude portant sur les plaintes pour violences familiales déposées dans la région de Madrid entre 1992 et 1996, les agresseurs étaient à 90 % des hommes (Asociación de Mujeres Juristas Themis, 1993: 13).

41          Comme expliqué plus haut, la peine est beaucoup plus légère dans le premier cas.

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Les hommes et la violence à l'égard des femmes