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 Table des matières  du séminaire du COE - 7-8 octobre 1999
Les hommes et la violence à l'égard des femmes

Méthodes utilisées par la police pour lutter contre la violence
à l’égard des femmes


Mme Helene GÖRTZEN, police de Stockholm, Suède

En 1864, les violences conjugales ont été érigées en infraction en droit suédois. Malheureusement, 130 ans plus tard, la violence reste d’actualité. En 1999, des femmes vivent toujours dans la crainte d’abus psychologiques, physiques et sexuels. Comment peut-on expliquer que des hommes continuent à frapper des femmes dans notre société moderne et démocratique?

Alice, Najma, Irma et Lena – parmi tant d’autres de nos mères, de nos filles, de nos sœurs ou de nos amies – ont été, l’année dernière, assassinées par leur compagnon ou ex-compagnon. Comment pouvons-nous, en notre qualité de policiers, par exemple, aider et protéger les femmes et les enfants dont le domicile, loin d’offrir la chaleur et la sécurité de ce que l’on appelle un foyer, s’est transformé en chambre de torture?

Mon nom est Helene Görtzen, et je travaille dans les forces de police du département de Stockholm. Diplômée de l’Ecole de police en 1982, je coordonne depuis novembre 1996 une initiative commune appelée Opération Kvinnofrid – ce qui signifie grosso modo «Paix pour les femmes». Aujourd’hui, le comité directeur se compose des responsables des douze services régionaux et nationaux unis dans la lutte contre la violence des hommes à l’égard des femmes. Opération Kvinnofrid est un projet de long terme, et les services participants ont rédigé des documents d’orientation et des plans d’action qui précisent les buts visés et préconisent des méthodes de lutte contre cette violence. Nous cherchons à sensibiliser le public à ce problème en encourageant chacun à intervenir s’il sait que pareilles violences ont été commises. Nous espérons également réussir à amener hommes politiques, personnalités et journalistes à s’intéresser à ce problème.

En 1998, une nouvelle infraction a été introduite dans le Code pénal suédois: violation grave de l’intégrité d’une femme. Son but est de couvrir les actes répréhensibles commis de façon répétée par des hommes sur des femmes ayant un lien étroit avec l’auteur de l’infraction, mais elle couvre également les enfants et les autres personnes proches. En bref, si un homme commet certains actes criminels - agressions, menaces ou contraintes illégales, abus sexuels ou autres, exploitation sexuelle, etc. - contre une femme dont il est ou a été l’époux ou le concubin, il sera condamné pour violation grave de l’intégrité de la femme, et non pour l’infraction que chacun des actes constitue. Pour qu’une condamnation soit prononcée au titre de cette nouvelle infraction, il est indispensable que les actes en question aient été commis dans le cadre d’une violation répétée de l’intégrité de la femme, et qu’ils aient été susceptibles de porter gravement atteinte à la confiance qu’elle avait en elle-même. Cette infraction est punie d’une peine d’emprisonnement de six mois à six ans.

Les campagnes publiques, la législation, l’assistance technique et les plans d’action sont de bonnes choses, mais ce qui est déterminant en définitive, c’est l’attitude du policier envers la violence, et le type de soutien qu’il reçoit de son supérieur hiérarchique. Je suis fermement convaincue que ce dont nous avons besoin en priorité, c’est du pouvoir de travailler sur ces problèmes sur le long terme, et pour avoir cette possibilité, il nous faut «secouer» notre chef (s’il n’est pas déjà sensibilisé à ce fléau). Racontez-lui l’histoire d’Alice, de Najma, d’Irma et de Lena. Racontez-lui la vie de leurs enfants et la façon dont ils ont perdu leur mère. Si cela ne suffit pas, présentez-lui les statistiques. Dans le seul département de Stockholm, environ 4 000 cas de femmes battues nous sont signalés chaque année. Ajoutez-y le pourcentage de crimes non signalés à la police, que les experts estiment à environ 70 ou 80. Ajoutez-y le nombre de viols et de menaces perpétrés chaque jour par des médecins, des facteurs, des charpentiers et des policiers, puis demandez-lui si sa fille aimerait vivre dans sa circonscription.

Heureusement, je n’ai pas eu à faire tout cela. Mon chef ne nous demande pas ce que nous avons fait aujourd’hui pour satisfaire le ministère de la Justice. Il nous demande ce que nous avons fait aujourd’hui pour aider et soutenir les femmes de Stockholm. Il m’incombe, en tant que policier, de savoir quelles questions poser et quelles questions ne pas poser lorsque je suis appelée sur les lieux du crime ou mise en présence d’une femme venue au commissariat et, ce qui est essentiel, d’oser écouter ses réponses et de savoir quoi faire ensuite. Il incombe au policier d’informer la femme des lieux où elle et ses enfants peuvent obtenir une aide spécialisée

– soutien psychologique, assistance financière, hébergement, etc. – et il incombe au policier de coopérer avec d’autres services et ONG afin de réduire le risque que l’intéressée ne se retrouve prise entre deux feux. Seuls, nous ne pourrons rien changer. La chaîne des soutiens doit être forte et instruite, et travailler avec la compétence requise.

C’est pourquoi des programmes complets de formation ont été élaborés, à l’intention non seulement des policiers, mais aussi, notamment, des travailleurs sociaux, du personnel des services de santé et des établissements scolaires, pris individuellement ou globalement. Depuis 1992, nous avons créé 20 groupes multiorganismes dans le département de Stockholm. Ces groupes se réunissent pour échanger savoirs et expériences. Ils organisent ensemble des séminaires et des sessions de formation et transmettent également leur(s) savoir(s) à leurs collègues lorsqu’ils retournent sur leur lieu de travail. Les policiers sont souvent les éléments moteurs de ces groupes. Ainsi, grâce au soutien de nos chefs, au travail des groupes multiorganismes, à la formation et à la responsabilisation du policier, nous POUVONS faire la différence et lutter contre la violence des hommes à l’égard des femmes. Et tant que nous saurons que ne serait-ce qu’un seul policier a directement prononcé des paroles dégradantes à l’intention ou à propos de l’une de ces femmes, nous devrons poursuivre ce combat. Je sais que la connaissance, le soutien et la coopération finiront par faire évoluer les attitudes.

Nous avons également besoin d’assistance technique pour être en mesure d’aider et de protéger. En 1991, tous les postes de police de Suède ont été équipés de «kits d’alarme» qui peuvent être confiés gratuitement aux femmes en danger. Ces kits sont par exemple composés de systèmes d’alarme pour le domicile, d’alarmes acoustiques et de téléphones mobiles. Nous pouvons aussi, dans les cas très graves et pour une période limitée, affecter à l’intéressée un agent chargé d’assurer sa protection rapprochée.

Et pourtant, malgré toutes ces mesures, pourquoi entendons-nous encore parler chaque jour de femmes comme Alice et Najma?

Tant que subsisteront d’importants déséquilibres dans les relations de pouvoir entre les sexes dans la société, la violence perdurera. Tant que nous considérerons la violence des hommes à l’égard des femmes et l’égalité des chances entre hommes et femmes comme des questions intéressant exclusivement les femmes, la violence perdurera. Les hommes, dans leur ensemble, doivent militer et participer à la lutte contre la violence masculine à l’égard des femmes. Les hommes doivent montrer à leurs semblables la voie vers une société plus équitable, plus équilibrée. Et je me félicite de ce que de plus en plus d’hommes nous rejoignent effectivement.

J’aimerais conclure en vous racontant l’histoire vraie d’un enfant de 4 ans. Il s’agit en l’espèce d’un exemple de coopération entre un centre d’accueil pour femmes et la police de Stockholm. Ben et sa mère vivent dans un centre d’accueil parce que le père de Ben s’est rendu coupable d’abus psychologiques, physiques et sexuels sur la mère de Ben. L’enfant a été témoin de ces abus à maintes reprises. Mais il aime toujours son père, et de temps à autre, il est autorisé à l’appeler depuis le centre d’accueil, par un téléphone «à mains libres» et sous la surveillance d’une assistante sociale.

Le rêve de Ben est de devenir chef de la police; il a souvent rencontré des policiers, en compagnie de sa mère, et la police se rend souvent au centre d’accueil pour s’assurer que tout va bien.

Un jour, Ben téléphone à son père, et l’assistante sociale se trouve à proximité (nous ne voulons pas que Ben révèle l’adresse du centre d’accueil). Elle l’entend parler à son père de ce qu’il a mangé au dîner, de la couleur qu’il a choisie pour son niveau T-shirt, et de choses importantes pour un enfant de 4 ans. Tout à coup, le père de Ben dit «C’est très bien, Ben, mais où est-ce que toi et Maman vivez?». Après un silence, et avant que l’assistante sociale n’ait eu le temps d’intervenir, elle entend Ben dire bien distinctement: «Tu ne vas pas le croire, Papa, mais nous vivons dans une grande et belle maison pleine de policiers».

Ben et sa mère vivent désormais tous les deux dans leur propre appartement. Elle travaille et gagne sa vie, et Ben semble heureux au jardin d’enfants. Lorsque nous nous rencontrons dans un café du centre de Stockholm, ils ressemblent à n’importe quelle maman accompagnée de son enfant. Mais nous savons tous, cependant, que les cicatrices les plus douloureuses se trouvent à l’intérieur.

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