Revue TYPES 4 - Paroles d’hommes

Footballeurs aux douches

EuroPROFEM - The European Men Profeminist Network europrofem.org 

Contributions by language

 

Précédente Accueil Suivante

06_type4.htm

 

Revue TYPES 4 - Paroles d’hommes - 1982

----------------------------------------------------------------------------------

DU CÔTÉ DE NOS HISTOIRES

 Footballeurs aux douches

On entend au loin dans la brume le coup de sifflet final du match... Bientôt c'est le piétinement lourd de quelque troupeau qui s'approche... Les joueurs arrivent, horde échevelée, crottés et noirs de boue... Le sabot à crampons claque son fer sur le bitume du vestiaire tandis que les gueules écument encore de rage et d'effort... On s'asseoit lourdement sur le banc de bois sous le porte-manteaux... La peau est rouge qui s'est frottée à l'air vivifiant du matin, l'œil globuleux, le jarret fatigué... Pour l'instant, personne ne parle... dans l'antre, le guerrier se repose, reprend ses esprits... Il fait bon, le souffle des bouches part en saccades mélanger ses volutes à la buée des douches... L'hiver est dehors avec ses dents de loup... On est là, entassés... danse bizarre de maillots colorés qui se défont sous la cambrure. On pourrait croire à des chevaux maladroits qui se cabrent... les habits tombent au sol, ici et là, rejetés dans l'ignorance... finis les numéros ! La viande est là sans grâce qui se bouscule...

La vie reprend ses droits et les voix se réveillent.

L'un dans un souffle, la cuisse encore maculée de terre presque sèche, lance :

— On a paumé ! Ça me dégoûte !

Sur les visages encore grimaçants, on lit la déception, la défaite... les gestes sont lourds, imprécis, on commence à commenter le match... tandis que des douches proviennent des beuglements sonores :

— Je croyais qu'on allait se les faire... J'y ai cru jusqu'à la dernière minute...

Les regards vaguement s'entrecroisent, on est encore à moitié dans l'action.

— Je trouve qu'on se défonce pas assez !

— Parle pour toi, mon vieux... qui estce qui s'est fait baiser sur la remise...

— C'est vrai, au tâcle, tu dois le prendre le mec...

(Des douches)

— Pousse ton cul ! C'est pas possible d'avoir un cul pareil... bientôt il te faudra deux douches pour toi tout seul (rires).

Les discussions germent par petits groupes... l'un mimant les gestes d'une agression :

— L'avant-centre d'en face, je te l'ai pris plus d'une fois sur corner... les genoux dans les reins... après il revenait plus... je sais pas pourquoi (rires).

— Faut pas exagérer non plus !

— Quoi ?... t'es avec eux... ou quoi ?

— Pas de cadeaux, mon vieux.

— Ils t'en font des cadeaux à toi ?

— Moi c'est simple : le mec passe, je le descends, pas à chercher...

— Affirmatif !... même les pros, c'est comme ça...

— Je dis qu'on est pas forcé d'en arriver là !...

— Oh hé ! passe-moi la savonnette...

— C'est pas un jeu de gonzesses !

— T'as qu'à la ramasser...

— Ah merde ! qui c'est qui a mis l'eau froide... faut pas déconner...

Le concert des voix monte... la chair rose encore fumante entame son ballet de serviettes... Les douches se calment, petit à petit le poil sèche, les joueurs se transforment progressivement en hommes de la rue, en messieurs de la vie. — C'est la faute à l'arbitre.,.

— Un enfoiré... il sifflait que nos fautes...

— C'est vrai ça ! jamais leurs fautes...

— Il était payé, y a pas à dire...

— J'avais envie de lui rentrer dedans... putain de sa mère !

— Oh merde ! magne-toi... tu monopolises la place...

— Dis donc, tu vas à la noce ou quoi ? (rires) Non mais, regardez comme il est sapé...

(Tandis que certains sont encore nus... des personnages prennent forme : ici un employé de bureau, là un jeune cadre déjà dynamique.)

— Cache ton cul... pédale ! Où tu te crois ? Il faut toujours qu'il s'exhibe celui-là !

— La porte ; merde, ça caille !

— Y a un enculé qu'a marché sur mon slip propre avec ses pieds dégueulasses...

— T'as un rendez-vous ? (rires)

— Ça la fout mal sans slip !... (rires)

— Tu diras à la nénette que tu l'as perdu dans la bataille (rires énormes).

— Elle risque de croire que tu l'as laissé chez une autre... — Oh, la tuile ! (rires)

— Bon, moi j'y vais

— On se retrouve au café !

— Personne n'a vu une chaussette bleue ?... alors là, faut pas déconner... je veux bien rigoler...

— Allez, chiale pas comme une nana... ta chaussette... elle est au café !

— Allez me la chercher !

— Ah non, tu vas y aller à cloche-pied...

— Laissez-moi pas dans la merde...

— Venez les mecs... On va se fendre la gueule...

Des hommes... des hommes-pantalons, des hommes-chemises, vestons, des hommes buveurs de bière, des hommes-voitures, klaxons, des hommes-feux verts, feux rouges, des hommes-parking, poignées de main, respect, confort, des ouvriers, des employés, des artistes, des étudiants, des intellos, et d'autres, sportifs de chambrée bien rangée, hommes de paille, buveurs de certitudes avec des amuse-gueules...

Bref des hommes... une fois pour toutes...

On ne veut pas envisager d'ailleurs possibles... alors les maisons se construisent toujours de la même façon, les rues aussi, les écoles, les lois, les relations, les idées, les guerres...

On perd aujourd'hui, mais on gagnera demain, demain, on leur en mettra plein la gueule... même si après-demain on perd à cause de l'arbitre, parce qu'on se rattrapera la fois d'après...

Jusqu'à ce qu'on n'en puisse plus de Jouer.

Luis Mateo

 

Orage masturbatoire

ou la fièvre du samedi soir

Violence.

Violence que je ne " suis " pas.

Violence qui me poursuit.

Je veux être la bête.

Elle et son grand jeu secret : elle court sur la plage déserte, je la poursuis, elle a peur, elle court, elle a peur, elle court jusqu'à ce qu'elle s'écroule dans le sable : " Pouce, j'arrête, j'ai trop peur ! "

Je veux être la bête dans le sexe sans perdre le fil des corps complices.

Fini l'homme gentil, doux, le toutou accompagnateur de femme, l'enfant qui crève de peur.

Je veux exploser de puissance.

J'entends : " ne sois pas agressif comme ça ! ", piqûre analgésique pour chien qui enrage.

Je ne veux plus croupir docile, fossile faux styles et dos courbé.

Je me sens prisonnier dans le camp des convenances et des banalités mijotées a la sauce psychologisée.

Elle rêve de bêtes, de râles aux intonations mâles.

L'homme qui s'implose de puissance, l'homme qui explose de colère, qui se jette dans le sexe.

La bête qui râle, le torse qui se gonfle, l'air qui rentre et qui excite.

Les rugissements.

Celui qui met en branle sa force, le mec dans toute sa beauté.

Celui que je ne me sens pas souvent avec mon ventre qui ressort, mes nénés gras et poilus et mon sperme qui s'échappe trop vite.

Je veux être fort et être tranquille ; après on pourrait me respecter, m'écouter même si je n'ai rien à dire ; être là sans me sentir déconsidéré.

Que ces mecs me foutent la paix, j'ai envie de leur foutre mon poing sur la gueule une fois pour toutes à ces cons de contremaîtres qui me font et me défont, ces chefs qui veulent me baiser la gueule, me coincer dans les chiottes, des brimades refoulées et des remarques hautaines.

J'en ai marre d'avoir l'air gentil, je veux un papa fort, très fort. Ne serait-ce qu'une fois, baiser une femme et puis m'en foutre ! Et puis le dire. Et puis l'écrire.

Après, je me dis que je serais tranquille, jamais plus on ne me regarderait avec des yeux de doucet fébrile, d'incapable étranger aux royaumes des femmes partagées.

Vouloir baiser ces bourgeoises super fringuées, ces bourgeois mal intentionnés et méprisants qui me dessappent du regard et de la tête aux pieds.

Je ne veux plus me laisser brimer, enculer.

Moi aussi, je veux pouvoir avoir la classe !

Je ne suis pas condamné à crever prolétaire.

Irruption de bestialité parmi les gens de " société "

Je ne veux plus être de ces gentils toutous à féministes, de ces mecs qui traînent leur culpabilité sur les bancs tout neufs des usages distingués.

Je veux moi aussi être un mec comme tout le monde.

Je veux ma part du gâteau.

Pourquoi je devrais être condamné à traîner ma générosité de garçon empaillé sur la croix de la modernité.

Moi aussi je veux pouvoir jouer au phallocrate distingué, enfin être l'objet des désirs secrets et cachés de ces dames. Le mec, sûr de lui, celui qui en impose, le cadre qui s'habille " New-man " et qui fait rêver ces femmes.

Celui qu'a les gros bras du camionneur et la distinction du gentleman cambrioleur des fantasmes obstrués.

Ma tête se fracasse sur le fronton des idées modernisées, sur la digue des blabla décomposés et fadasses.

C'est le tonnerre qui résonne dans ma tête, c'est la foudre qui traverse mon sexe, je tremble de tous mes membres.

C'est l'épilepsie des sens et tout explose dans la puissance.

Silence.

Je suis fatigué, j'ai dû trop rêver. Je n'aurais jamais cru que j'y sois arrivé, curieux effet que celui de me dire : " c'est moi ça ".

Je suis à peine soulagé.

Ça me fait tout drôle et j'aimerais être consolé, sentir une main sur moi, un sourire léger de connivence et de sérénité :

" Tu crois vraiment que c'est pas trop dangereux tout ça ! "

" Tu crois vraiment que tu vas pouvoir continuer à aimer ! "

Tu sais, ça me fait peur, comme si j'avais cru éclater et qu'après tout soit cassé. Peur d'avoir à être ramassé à la petite cuillère, débris de ma personnalité ébréchée.

Jean-Louis Legrand

 

Cinq semaines plus tard :

tempête et paix

d'un samedi soir

Je n'en peux plus.

Jean-Louis n'en peut plus.

Je pleure.

Tout à l'heure, j'avais envie de tout casser, je donnais des coups de pieds.

Maintenant je suis triste, je pleure.

Je n'en peux plus.

Elle, son amie, et son large sourire : un simple mot clair, distinct, ferme, fort, du fond de sa certitude : NON !

Je n'en peux plus de demander de l'amour, je n'en peux plus.

Je demande dans la rue, je demande là où je suis, mais là c'est trop, c'est vraiment trop ; je n'en peux plus.

Jean-Louis n'en peut plus d'essuyer des refus, mais là je ne sais pourquoi, celui-là est vraiment de trop : elles ne veulent pas de moi, elles ne veulent plus de moi. Pourquoi ?

Je n'en peux plus, je suffoque dans mes pleurs.

Tout à l'heure, j'étais furieux, mes jambes allaient cogner les murs et les voitures, mes poings devenaient fous de rage, mon visage, ma mâchoire déformés par la colère.

J'allais les haïr toutes à jamais !

Mais là je n'en peux plus, ça n'arrête plus.

Tout à l'heure à l'église St Séverin, je me suis arrêté, souffle tranquille sur fond d'orgue, méditation paisible.

Là j'ai su exactement ce que j'avais besoin, le contact d'un autre corps sur mon corps, le contact d'une main sur mon cœur, la translucidité d'une relation vraie ; j'imaginais une annonce de " Libé " libellée : cherche femme aimant se sentir belle et intelligente pour communication corporelle, émotionnelle et intellectuelle ; contacts des corps massés, plaisir du corps réapprivoisé, érotisme et sensualité, chaleur vraie d'un moment vrai.

Le seul fait d'évoquer ce moment à l'église, cet " exactement-çà " de mon besoin et tout s'est arrêté doucement, les pleurs et la colère.

Et je suis là tranquille, la respiration profonde et grave, je regarde ce que j'écris, ma plume noire qui se balade, qui crisse sur cette feuille de papier blanche.

J'ai retrouvé la paix.

La paix avec moi et avec le monde !

Jean-Louis Legrand

--------------------------------------------------------------------

Revue TYPES  4 - Paroles d’hommes - 1982

https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01429398/document

 


Précédente Accueil Suivante