Revue TYPES 4 - Paroles d’hommes

Du côté social et des institutions

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Revue TYPES 4 - Paroles d’hommes - 1982 

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DU CÔTÉ DU SOCIAL ET DES INSTITUTIONS

Les itinéraires individuels n'expliquent pas tout, même si la subjectivité de chacun peut être un moyen d'échapper aux limites étouffantes des modèles qu'on nous propose (autant qu'on nous les impose). Mais nous voulions aussi analyser les lieux et les modes de production de ces normes. Le lycée, l'internat ou l'armée, entre autres, fabriquent à leur manière ces individus sociaux, " les mecs ", qui — hétéros ou homos — valorisent autant la domination ou l'affrontement qu'ils ignorent la tendresse ou la communication. Tandis qu'ailleurs, le regard d'une femme permet, — hors texte —, une certaine lecture de la structure hiérarchique... Mais aucune réalité n'est uniforme, aucun constat immuable, et dans chaque facette de notre réel apparaissent des signes, des discours d'hommes, qui nous font entrevoir autre chose que le simpliste " tous les mêmes ".

L'ARMÉE FERA DE TOI UN HOMME

" ...ce soir, ils ne font plus partie du groupe, ils n'appartiennent plus au monde des femmes, ils ne sont plus a leur mère ; mais ils ne sont pas encore des hommes, ils ne sont de nulle part, et pour cela occupent l'enda ayia : lieu différent, espace transitoire, frontière sacrée entre un avant et un après pour ceux qui vont à la fois mourir et renaître. "

Pierre Clastres

Chronique des Indiens Guayaki

L'appelé effectue son service national à une période charnière de son existence. Avant son service, il est célibataire, vit chez ses parents et, très souvent, poursuit des études, tandis qu'après il devient indépendant, gagne sa vie et fonde une famille.

Le service national est donc l'ultime étape de la formation de l'individu masculin. Il est en cela un rite initiant à l'indépendance civique, à la vie familiale et à la vie active, mais aussi à tous les devoirs et obligations de la virilité. Le service national est l'aboutissement du processus d'éducation et, après son passage aux armées, l'homme est sensé être capable d'accéder à l'entière responsabilité de sa propre destinée d'homme et de travailleur. C'est, dans la vie de l'individu masculin, une coupure nette, un critère indiscutable de maturité : avant, on n'est pas encore tout à fait un homme, mais après, on en est un à part entière.

Le service militaire n'est pas un apprentissage rationnel au métier des armes, mais plutôt un élément essentiel à la reproduction de la virilité et de l'oppression sexiste, mais aussi de la force de travail.

L'uniforme : cache-sexe ?...

Seuls les hommes sont appelés sous les drapeaux. Le service national est un " privilège " masculin un label de maturité interdit à la femme et qui permet à l'homme de justifier totalement la revendication de sa part de gouvernement patriarcal. Ainsi, pendant une période généralement assez longue, le mâle est emprisonné et initié tandis que la femme, indigne de partager cette épreuve, reste libre.

A l'armée, l'homme échange le privilège futur de sa supériorité par rapport aux femmes et aux non-adultes contre une somme, connue à l'avance, de souffrances, de vexations et de privations (sexuelles, affectives, intellectuelles...) qui doivent être assumées, c'est-à-dire acceptées et même désirées, pour que le garçon devienne réellement un homme. On retrouve ici la logique fondamentale du rite initiatique : l'épreuve est attendue pendant de très longues années avec un mélange de crainte, car elle est terrible, mais aussi de désir, d'impatience presque, car elle marque un changement positif de situation sociale et que, si elle amène de nouvelles obligations, elle confère également de nouveaux droits.

Aussi, pendant le service national, pendant l'épreuve, le véritable ennemi, pour l'appelé, ce n'est pas l'adjudant ou le chef qui impose des ordres souvent absurdes, mais ses propres émotions, ses faiblesses et ses mollesses qu'il s'agit de traquer, de réduire à néant pour se couler pleinement dans le moule de la virilité. Il est tout à fait exclu de se révolter contre une vexation ou un commandement incohérent, qui prennent au contraire tout leur sens pour l'individu voulant ressentir dans sa chair le prix de la virilité. Pendant son service national, l'appelé doit vaincre la nature inférieure (la femme) qu'il y a en lui, et tous les actes et comportements militaires devront être mâles et virils. Faillir, c'est déshonorer son sexe, l'uniforme, et être indigné de partager la fierté sectaire d'appartenir à tel régiment d'élite, de choc, toujours plus dur que les autres et dont les oripeaux, les citations, les morts pour la patrie au champ d'honneur prouvent la valeur exceptionnelle.

Le groupe et la chambrée ont d'ailleurs un contrôle absolu et permanent sur la progression de chacun vers le modèle masculin, et leur jugement, en cas d'échec ou même simplement de faiblesse, est impitoyable : celui qui a failli perd alors toute virilité (il n'a " pas de couilles "). Dans cette logique absolue, il devient alors une " femmelette ", un " pédé ", que les autres, les vrais hommes, se doivent de provoquer, d'humilier et parfois de violer pour conjurer en eux-mêmes la faiblesse et exalter leur propre virilité.

...ou tablier de ménagère ?

Les corvées militaires illustrent à merveille le contenu initiatique du service national.

Dans la caserne, la propreté et le rangement doivent être parfaits, mais ils sont obtenus avec un minimum de moyens matériels de façon à conforter l'idée que le mâle peut fort bien se débrouiller tout seul, dans la vie, puisqu'il aura exécuté à la perfection les corvées ménagères pendant son service. Il n'existe d'ailleurs pas de lieu où le contraste soit plus important qu'à l'armée entre la netteté et l'ordre, exigés et souvent codifiés jusque dans le plus petit détail (ordonnancement de l'intérieur de l'armoire individuelle ; disposition des draps et couvertures, pliés chaque jour, sur le lit ; propreté de l'uniforme et de la chambrée...), et les moyens disponibles pour les obtenir (pas de machines à laver ; pas de produits de nettoyage...) Cette disproportion, transformant l'exécution de toute corvée en véritable tour de force et d'adresse, virilise des travaux qui dans la vie courante, restent dégradants et donc féminins.

Ainsi par son passage aux armées, l'homme prouve définitivement et une bonne fois pour toutes qu'il est capable d'effectuer dans les pires conditions les corvées ménagères qui, sans difficultés et donc sans intérêt, reviennent aux femmes à l'extérieur de la caserne.

Provocations scotchées

Si le service national est un privilège masculin, les femmes restent très présentes, à l'intérieur des enceintes militaires, dans les pensées et les conversations. Elles sont le plus souvent caricaturalement partitionnées en quatre grandes catégories. Il y a la mère, chaude et rassurante, dont les lettres arrivent régulièrement, la sœur, compagnon asexué que l'on doit protéger contre la convoitise des autres mâles, la fiancée (ou la prétendue telle), dont on garde toujours sur soi une photo que l'on montre parfois à ses meilleurs copains, mais dont on craint toujours secrètement la défection entre deux permissions. Et puis il y a les autres, celles sur qui, en vertu des épreuves subies et qu'elles ne connaîtront jamais, on a tous les droits, que l'on peut traquer, forcer sans impunité dans la rue et qui aiment ça, d'ailleurs, même quand elles se refusent, puisqu'elles sourient en prenant des poses provoquantes et aguicheuses sur les photos des magazines pornographiques scotchées à l'intérieur des armoires individuelles.

Cette partition simpliste des femmes est essentielle à la reproduction de l'oppression sexiste : comment, sans elle, le mâle arriverait-il à s'y reconnaître entre la tendresse à certaines, nécessairement pures, et la violence du droit absolu sur le corps des autres ? Les lieux d'hommes ou elle se nourrit et se pratique à l'extrême ne manquent pas (cafés, clubs de sport...) mais la mixité progressivement mise en place dans les écoles amène l'armée à devenir un des derniers remparts contre sa disparition.

Il est d'ailleurs intéressant de souligner l'échec relatif de la réforme du statut du personnel militaire introduite en 1976, qui avait entre autres buts de donner aux femmes qui le veulent la possibilité d'effectuer le service militaire dans les mêmes conditions que le contingent masculin. En juillet 1981, sur 269.000 militaires du contingent on comptait 500 volontaires féminines (475 exactement). Si les femmes sont plus nombreuses parmi les militaires de carrière (12.000 sur 307.000), leur présence demeure néanmoins presque aussi marginale et le seuil des 5 % n'a jamais été dépassé (1). Le service national et l'armée respectent leurs traditions et les décrets et décisions législatives qui les ont parfois transformés n'ont jamais véritablement touché à leur nature de lieux d'hommes. Mais en avaient-ils vraiment l'intention ? Il va de soi qu'une même épreuve subie par tous les éléments des deux sexe ne pourrait rester l'un des fondements d'une distinction sexiste : les hommes gardent le privilège d'être contraints au service national.

Travailleur docile

Mais le service national a également une évidente fonction de reproduction de la force de travail. A l'armée, l'appelé est infantilisé et totalement rééduqué : on lui apprend à nouveau à marcher, à s'habiller, à se soumettre à des horaires impératifs, à obéir aux commandements afin de convertir la soumission à l'autorité parentale en soumission à l'autorité hiérarchique et, d'autre part, de lui faire comprendre qu'il n'y à pas là de changement fondamental, qu'elles sont toutes deux régies par le savoir, l'expérience et la maturité. En passant sous les drapeaux, l'homme anéantit en lui toute velléité de révolte et apprend définitivement à être soumis au principe de hiérarchie, à adopter un mode de comportement subalterne et infantile qui sera celui d'une vie entière. Docilement assujetti pendant un an à une autorité militaire absolue, l'homme, quand il sort de l'armée est parfaitement conditionné pour pénétrer dans un système d'exploitation et d'oppression par un pouvoir plus feutré, mais tout aussi réel et présent.

Le service national initie à la perfection le mâle à l'exercice de l'oppression virilo-sexiste et à la soumission devant le principe d'autorité. Comme l'écrit D. Pennac, l'armée a pour but de plonger l'appelé " dans le bouillon de culture de la caserne où se trouvent condensés à l'extrême les agents idéologiques qui conditionnent l'essentiel de nos rapports sociaux " (2). Quand il sort de l'armée, l'homme est censé être devenu à la fois un vrai mâle viril et un bon travailleur docile. Cette fonction du service national apparaît d'autant plus que, de nos Jours, il ne donne en rien des compétences militaires.

Gilbert Cette

(1) Source des statistiques présentées : Ministère de la Défense, Bureau de la Statistique et des Études Économiques et Budgétaires.

(2) " Le Service militaire au service de qui ? " D. Pennac, Seuil, 1973, p168.

Revue TYPES - PAROLES D'HOMMES

N°4 - Mai 82 - Pages 54 à 60

Du côté DU SOCIAL ET DES INSTITUTIONS

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LEP Corbillon, Saint-Denis, ou Tintin chez les phallos de base

Journée des femmes au L.E.P. (Lycée d'enseignement professionnel) de St Denis, à l'occasion de la journée nationale du 8 mars. Vidéo, films, débats, dont un à l'intitulé assez variable, mais qu'on peut très bien résumer par : " Et les mecs, dans tout ça ? ". Petite tentative pour concerner aussi la population mâle. C'est moi qui m'y colle. A vrai dire, je n'étais pas empli d'une foi missionnaire à toute épreuve quand je me suis pointé (en retard) dans la cour de récréation, quelques " Types " sous un bras et mon petit magnétophone sous l'autre. Mais les occasions de porter l'" interrogation masculine " hors de son cocon intellectuel natal sont si rares qu'il m'aurait fallu une certaine mauvaise foi pour refuser.

M'y voici donc. Un prof m'accueille dans la cour, me conduit à " ma " salle, puis repart " essayer de réunir quelques garçons pour commencer le " débat ". Pas cafteur et disons le, un peu dégonflé, je m'abstiens de remarquer que le plus simple serait de porter le débat dans le troquet voisin, lieu de réunion obligé des élèves, comme j'ai pu le constater en arrivant. Bon an mal an, on démarre quand même avec un groupe de 4 ou 5 garçons et une quinzaine de filles, qui grossira rapidement jusqu'à remplir la salle.

Difficile de donner un compte rendu linéaire d'un débat aussi décousu que celui-là, et d'une cassette aussi inaudible que celle que j'ai extraite le soir de mon magnéto... Je parlerai donc seulement des moments qui m'ont frappé assez pour que je m'en souvienne, sans souci de chronologie.

Les organisatrices de la journée m'avaient prévenu : CPPN (lire Classes Poubelles Pour Nuls), " cas " en tous genres, immigrés, loubards, zonards, ceux dont personne ne veut mais qu'il faut bien scolariser quand même parce que c'est la loi. Pour les gosses d'ici la guerre des sexes c'est la femme qu'on cogne tous les soirs, les filles qu'on séquestre pour un oui ou pour un non, pour dix minutes de retard un soir à la sortie de l'école... Terrorisme à tous les étages. Alors, plutôt que d'asséner un message " militanto-évangélique " qu'ils ne pouvaient de toutes façons pas croire, j'ai voulu comprendre par où quelque chose pourrait passer quand même. A quelle entournure l'armure virilo particulièrement baraquée des mecs présents pourrait bien les gêner, et consciemment. Ou, dit plus simplement, quels inconvénients ça peut présenter d'être mec et d'avoir quinze ans, à St Denis ?

Ce fut le bide : " Non, vraiment, ça a que des avantages ". Credo apparemment unanime. En regardant de plus près les avantages en question, j'ai été frappé de voir qu'ils n'étaient en générale pas considérés comme innés, mais uniquement statutaires ; je m'attendais à une misogynie-mépris (au moins formelle) aussi sinon plus affirmée que celle des adultes, celle que je retrouve dans la rue, dans les cafés ; pour résumer: " C'est bien de pas être une gonzesse parce que une gonzesse c'est con. " Ici, non. Ils savent très bien, ces mecs là, que l'avantage d'être un mec, c'est pas d'être plus fort, plus courageux ou plus intelligent, c'est simplement d'avoir des privilèges. Et ils comprennent aussi que les privilèges ça peut se perdre. Leur sexisme, c'est un sexisme-trouille, avec parfois même un complexe d'infériorité. (" C'est sûr que SI ON LES LAISSAIT, elles feraient aussi bien que nous — peut-être même mieux "). Je ne crois pas que dans mon lycée à moi (non mixte à l'époque), ce genre de choses aurait pu se dire. Est-ce un effet particulier du lieu, du milieu social, ou le signe d'une évolution durable ? (On pourrait trouver à cette évolution plusieurs raisons : la scolarisation des filles, leur réussite scolaire plutôt meilleure, la mixité, la valorisation sociale accrue des " qualités " habituellement reconnues comme " féminines ", le recul corrélatif de valeurs comme la force, l'agressivité, etc...) Mais le fait est là. Ici, pas de justification " naturelle " à la domination, pas d'explication historicophysiologique. Pas non plus de scrupules moraux ou éthiques. C'est la guerre des sexes à l'état brut, pure affaire de rapports de forces, pragmatique et tactique, chère à certaines féministes pures et dures (Et un beau pavé dans le jardin de ceux qui, comme moi, les trouvaient " simplistes " : ce simplisme là a en certains endroits une grande vérité opérationnelle, et Mea Culpa !). D'un côté, on a des privilèges, et on s'en sert pour les reproduire.

De l'autre, du côté des filles... ça m'a paru moins simple. Il y a chez les filles ou la plupart d'entre elles, le même réalisme quant à la soi-disant supériorité masculine, mais aussi un besoin paradoxal d'en conserver les formes. Par exemple, une fille déclare, parlant d'une Afrique où elle n'est jamais allée, mais qu'elle doit ressentir comme sa référence : " Je peux pas imaginer des femmes par exemple tuer des bêtes féroces... Mais maintenant avec les fusils... Non, non, c'est pas qu'elles pourraient pas, une femme peut tirer très bien, c'est, je sais pas, ce serait... Horrible ". Comme si on était passé d'une supériorité " objective " à une supériorité volontairement laissée à l'homme dans certains domaines pour éviter de remettre en cause son image mythique (et celle de la femme). Mais Juste ce qu'il faut ! (" D'accord, c'est normal que les hommes aient plus de choses que les femmes, dit une autre, mais là ils en ont vraiment trop. ") Ces filles m'ont semblé souhaiter au fond laisser aux hommes l'image de pouvoir qui leur permet de les admirer (de les aimer ?), tout en luttant contre les conséquences de ce pouvoir. D'ailleurs, c'est côté souple (c'est à dire là où les enjeux sont les plus palpables que les opinions des filles et des garçons divergent le plus (A noter que tous, sans exceptions, n'envisagent les relations homme-femme qu'en termes de couple).

" — Non mais vous voyez un peu votre "meuff" qui rentre un soir et vous dit est-ce que je peux aller au cinéma avec des copines, vous allez dire bon OK, salut, à tout à l'heure ? "

Je n'ai pas eu le temps de répondre un mot que, tollé de la part des filles,

" — Elle te demandera pas ton avis ! "

" — Et si t'es pas content elle rentrera pas du tout. ", d'ajouter certaines... L'idée de la rupture est beaucoup mieux envisagée par les filles que par les mecs, qui semblent réagir selon le postulat suivant : avoir une femme à soi, c'est pas facile ; c'est même tellement miraculeux qu'après tout, tous les moyens sont bons pour la garder. Tous, sauf bien sûr le seul qui pourrait marcher, c'est à dire accepter de ne plus considérer la femme comme une propriété. D'où la trouille...

On était loin déjà du " Ça n'a que des avantages d'être mec " du début. Il y avait une autre facette, ou si on veut, un deuxième revers à la médaille " être mec ", et j'aurais bien aimé qu'on en parle : " Être mec face aux autres mecs ". Mais de ce côté là, rien n'a bougé. Les quelques ballons d'essai que j'ai lancé se sont l'un après l'autre noyés dans une gêne peu enrichissante, mais significative d'un terrorisme sans faille : avouer que tu ressens parfois le " comportement mec " comme une contrainte, c'est reconnaître qu'il ne t'est pas " naturel ", et donc que tu n'es pas un vrai mec. CQFD ! Cet " aveu " là est une arme que manifestement aucun des mecs présents n'avait envie de fournir gratuitement aux copains de peur de la reprendre sur la gueule rapidement. Peut-être, dans une autre structure, avec anonymat garanti ?...

Pourtant, la lutte de pouvoir entre les mecs est bien apparue ! Mais pas hélas comme sujet de discussion... On parlait de l'éducation. Faut-il donner aux garçons et aux filles la même éducation (cuisine, mécanique, couture...) ? Un élève intervient : " — Je ne suis pas d'accord parce qu'un mec si vous lui donnez des jeux de filles et que vous l'habituez à aller qu'avec les " meuffs ", après on le trouve pas normal, il a des problèmes. " Un prof, un peu en retrait près du bureau, lui répond, parlant de son fils qui, à l'école, a des cours de cuisine mixtes et obligatoires. Sans doute pas assez explicite, car Absal (c'est l'élève) reprend : " — Mais regardez le résultat, après, c'est comme Machin, parce qu'il va toujours avec les meuffs et qu'il a des manières, tout le monde le traite de pédé, il a des problèmes. Tandis que moi, on m'a donné des jeux de garçon et j'ai pas de problèmes. "

Comme si tout le champ des problèmes possibles se résolvait à ça : être pris pour un pédé... Voilà une façon intéressante de lancer le débat, mais de l'autre côté il y a le prof, qui n'a manifestement pas l'habitude d'être contredit de cette façon. Il contre-attaque, en haussant un peu le ton. Après tout c'est une salle de classe, avec des tables, des élèves, un tableau, un bureau (derrière lequel il vient d'ailleurs de prendre sa position stratégique statutaire) ; et sans doute l'habitude est elle trop forte, sans doute sent-il de son devoir de ne pas laisser l'autorité, c'est à dire ici, le dernier mot à un élève. Et voilà la banale situation dite de " combats de coqs ". Absal s'est rapproché du bureau, qui constitue manifestement une limite tacite au territoire de chacun. Les yeux dans les yeux, le prof et lui se coupent tour à tour la parole pour se relancer inlassablement le même argument.

Pris de vitesse, je n'ai plus qu'à attendre que ça se passe, comme la majorité de l'assistance, qui discute ou feuillette les quelques " Types " circulant dans la salle. Une élève, pleine de sollicitude pour ma naïveté, me conseille de récupérer ceux-ci alors qu'il en est encore temps, mais foin de ces préoccupations terre-à-terre : autour du bureau, le combat s'envenime et s'éternise cette fois, aucun des deux belligérants ne peut employer ses armes décisives habituelles, le coup de poing dans la gueule, sans doute, pour Absal, le petit arsenal des colles et exclusions pour le prof. D'autres que moi trouvent que ça commence à bien faire et essaient d'intervenir, mais côté décibels les deux protagonistes ont de la marge, et ça ne fait qu'ajouter à la confusion générale. A force d'entendre ses " manières " revenir régulièrement sur le tapis, Machin finit par craquer et contre attaques très mal car il n'a pas le choix des échelles de valeur : " Avant de me traiter de pédé, il faudrait avoir la preuve et m'avoir vu me faire enculer ! "

J'ai commencé à ressentir une nette " responsabilité d'animateur ", et la nécessité de faire quelque chose. J'ai quand même mis encore quelques temps à court-circuiter l'hypnotisme réciproque des combattants (à moins qu'ils ne se soient enfin fatigués ?), et à accrocher le regard d'Absal, le temps d'une phrase : " il ne s'agit pas de donner à un garçon par-ci par-là une éducation particulière, mais de donner à tous les garçons et à toutes les filles la même éducation. D'où l'importance que ça soit dans les programmes, à l'école. " Ouf ! En gros bien sûr tout le monde était d'accord. L'assistance profita du silence soudain pour se dissiper. Justement c'était l'heure. Un certain malaise surnage dans la classe vide. Je compte mes " Types ". On m'en a piqué trois, et je trouve que finalement c'est un bon chiffre. Moins, j'aurais ressenti ça comme un désintérêt total, plus comme de la chourre systématique.

Le prof est venu me voir, en Sortant " Oui, c'est embêtant, je le connais bien, je l'ai en classe, c'est une forte tête... "...

... Oui... on est beaucoup comme ça, sans doute... mec !...

J'ai gardé comme petit post-scriptum une question qui ne nous apprendra rien sur les ado, de banlieue ni d'ailleurs. Cette question, c'est une fille qui me l'a posée, ou plutôt renvoyée presque au début du débat : " Et pour vous alors, qu'est-ce-que c'est, être un homme ? "...

Autant le dire tout de suite : les " archétypes culturels " et le " déterminisme biologique " ne m'ont pas été d'un grand secours, et j'ai été assez mauvais... J'y repense, de temps en temps. Ça serait bien d'avoir vraiment quelque chose à répondre, la prochaine fois...

Jean-Louis Viovy

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Internes en pensionnat religieux

Enfance. Adolescence en pensionnat.

Dortoirs immenses de soixante garçons, lits de fer alignés, tables de nuit ocres, dessus de lit blancs. Un homme en noir qui longe les couloirs des lits.

Le matin dans un silence de mort, où la prière, à genoux au pied du lit permet de se délier la langue.

Le passage aux lavabos. L'interdiction de regarder son voisin se laver. Ne pas se pencher par inadvertance vers lui ; cela pourrait signifier lui parler. Lui parler c'est se rapprocher de lui, de son lit.

S'habiller en retirant son pyjama avec, en dessous, un slip blanc. Nudité bannie, honnie ignorée.

Ignorance totale chez moi du sens des interdictions. Parler. Nudité. Sexualité. Homosexualité. Tout synonyme ; tout interdit. Interdit inconnu de la plupart des camarades internes.

Pourquoi ne pas parler, ne pas rire pour survivre et vivre.

Dortoir du soir, veilleuse jaune, surveillance rigide du silence, des bras et des mains sur les couvertures. Froid aux épaules et incapable de dormir en ayant froid en haut du corps et sans être recroquevillé, sans savoir le pourquoi des mains sur la couverture.

Sexualité et plaisir mots inconnus pratiques plus mystérieuses encore.

Contacts et relations entre garçons dans les dortoirs ne sont qu'alliances de détournement de surveillance.

Descente aux enfers. Du dortoir à la chapelle. Agenouilloirs en caoutchouc pour protéger les genoux. Côte à côte à la messe quotidiennes. Communion par rangées entières ; les solitaires n'y allant pas étant repérés, épiés par chacun de nous. Messe par obligation, habitude devenant raison de vivres valorisation de soi.

Communion. Petit déjeuner en troupeau avec chahut dans les rangs sous les marquises. Croches-pied, rires et dénonciations du voisin, Puni sur le champ.

Amour des punitions injustifiées tombant sur les boucs émissaires, les petits gros ne courant pas vite.

Chacun pour soi en classe, surveillance réciproque ; surveillance constante, par les " frères ", du dessus des fenêtres des classes, des escaliers, de ce qui se passe dans les urinoirs ; incertitude des débuts de week-ends pour savoir si l'on va pouvoir rentrer chez soi ou si l'on n'a pas été repéré, surveillé...

Association des religieux parlant ensemble, riant ensemble de vos faiblesses, du manque d'assurance, du mal à l'aise.

Concurrence pour être le meilleur en classe, le dernier essayant de se faire respecter autrement, en lisant des livres bien-pensants (Vie de saints et autres ouvrages respectables) en étant bon en sport ou en rangeant bien son bureau.

Limité, mais honnête et pieux, de bonne famille on finira par en faire quelque chose.

Parfois une place vide dans la classe, un renvoi incompris sans jamais savoir pourquoi. Dénigrement, chuchotements, écrasement du disparu (protection de soi).

Cour de récréation, cour du football-roi et roi du foot qui décide de tout et choisit les équipes. Obligation de jouer. Obligation de choisir les mauvais par le roi. Honneur du 1er choix, honte des derniers.

Les petits rapides et les grands forts sont les princes.

Copains de pensionnat et aujourd'hui réunion d'anciens, buvant beaucoup, se tapant sur le ventre et dans le dos face à leurs enfants ébahis, esbaudis, effrayés.

Comment leur père a-t-il pu être un joyeux camarade de pension avec ce qu'il est aujourd'hui.

Incompréhension, mal à l'aise renforcé, fuite du pensionnat, fuite des anciens, isolement dans un monde inconnu.

Enfin seul.

Rémi Gérard

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Revue TYPES - PAROLES D'HOMMES

N°4 - Mai 82 - Pages 61 à 67

Du côté DU SOCIAL ET DES INSTITUTIONS

Compte des mille et une bites

Quand l'interview de " J. Rection ", qu'on lira plus loin, nous est parvenue, on peut dire, selon l'euphémisme employé en pareil cas, que les réactions furent " passionnées " ! " Dehors l'intrus ! Pas de ça ici, jamais ! " " Si ! Laissez-les vivre ! Pas de censure ! " Etc, etc...

Ces quelques cris du cœur ne nous permettaient pas de trouver, sur le moment, une réponse satisfaisante à la question de fond : quel sens cela avaitil, pour Types, de publier cette interview ou au contraire de la refuser ?

Certains voyaient dans la publication le fait de ne pas se voiler la face devant tel aspect de la phallocratie. Réponse : c'est au risque de la complaisance. D'autres, par principe, étaient pour interdire nos colonnes à cette réalité. Ils étaient alors tenus pour des adeptes d'une bonne conscience facilement acquise. Non-dialogue, gênes et bouderies larvées... Quelques semaines se sont écoulées pendant lesquelles d'aucuns ont un peu mûri leurs arguments et tenté de les développer rapidement, d'où ce compromis volumineux : Rection est publié mais accompagné de différentes post-faces.

Compte des mille et une bites

" ...vous connaissez mon pari ? vous le comprenez ? tout ou rien, tout sur le rouge ou tout sur le noir, et des couilles, pas vrai ? et des couilles, pour jouer le tout pour le tout, risquer sa peau, s'exposer à être fusillé par ceux d'en haut ou par ceux d'en bas ; voilà ce qui s'appelle être un homme, comme je l'ai été, non pas comme vous l'auriez voulu, un homme à moitié, un homme bandant mou... "

La Mort d'Artemio Cruz

Carlos Fuentes

Tous les hommes ont, à un moment ou un autre de leur enfance, rivalisé sur la taille de leur pénis, la distance à laquelle ils projetaient leur jet d'urine et, plus tard, le nombre de leurs conquêtes. A cette concurrence se substitue ensuite, le plus souvent, celle des réussites sociales, du prestige, de l'écriture...

Pourtant, il arrive que certains continuent à accorder une importance considérable aux dimensions des sexes comme mesure de la puissance potentielle à jouir et à faire jouir. J'ai interviewé Jacky Rection (1) non seulement parce qu'il fait partie de ces hommes, mais aussi parce qu'il adhère de façon exacerbée à toutes les valeurs viriles que " Types " entend dénoncer et rejeter. Jacky Rection donne beaucoup de prix à la taille du pénis de ses partenaires masculins, il fait également partie de ces hommes qui pensent que la jouissance est proportionnelle au nombre des rapports que l'on a, il est intimement phallocrate et, dans ses propos profondément méprisants pour les femmes, on trouve aussi, grand chelem, un zeste de racisme. Tout y est.

Notre but n'est pas, en présentant un épouvantail, de nous affranchir de la réflexion critique sur les oppressions que notre appartenance de sexe nous amène à exercer, socialement et individuellement.

Gilles — Tes relations affectives et sexuelles sont le plus souvent homosexuelles. Elles sont de plus, très spécifiques : tes relations sont toujours, ou presque, des rapports de rencontre et tu es un familier des petites annonces dans les journaux spécialisés. Mais il y a une constante : tu ne sembles désirer que les hommes qui ont un sexe long et gros, et, dans tes annonces, tu précises les longueur et circonférence minimales. Tu as probablement une opinion sur cet intérêt que tu portes aux hommes dont le sexe est d'une taille inhabituelle ?

Jacky — Je passe très souvent des annonces dans Sandwich, le Gai-Pied, Swing... Mais il faut préciser que ces annonces ne représentent pas plus d'environ 35 % des rencontres que je fais. Tout d'abord, il peut être intéressant de savoir combien je fais de rencontres par an. Disons que je peux rencontrer... oui : entre 1000 et 1200 garçons par an. C'est une moyenne, bien sûr. Il est évident qu'il suffit d'aller au Maroc ou au Moyen-Orient pour faire monter en flèche ce chiffre et qu'il suffit d'aller dans des pays très catholiques pour le faire descendre.

Pourquoi l'annonce ? L'annonce représente pour moi la possibilité de rencontrer à Paris des gens que je ne rencontrerai pas du tout autrement. Par exemple l'homme marié qui a un emploi fixe, style administration, qui sort à des heures bien précises et dont l'entourage sait qu'il sort à ces heures précises, peut difficilement draguer et rentrer quatre heures plus tard en disant qu'il a été occupé. Les garçons qui répondent à mes annonces se situent entre vingt et vingt-cinq ans, ils sont généralement mariés ou vivent en concubinage avec une fille. Il est rare d'avoir une réponse d'un garçon de vingt ans ou de plus de quarante ans.

 

Annonces et mensurations

Pourquoi préciser dans mes annonces la taille du sexe ? D'abord parce que, pour moi, c'est important. Cela permet également d'éliminer tous les garçons qui répondent aux annonces parce qu'ils sont soit complexés soit d'une très grande timidité.

Le rendement d'une annonce est variable. Les miennes ont les résultats suivants : dans le Gai Pied, peu, entre 6 et 15 ; dans Sandwich, beaucoup plus, j'ai reçu jusqu'à 92 lettres. Alors, il faut lire ces lettres. Et là, alors que l'annonce précise par exemple : je veux une bête de 21xl8cm, il n'est pas rare qu'un garçon m'écrive que son sexe fait 14xlOcm, cela ne le gêne pas du tout ! Je crois que bien souvent les gens ne lisent pas l'annonce ; car j'y écris clairement : 23cm, sinon s'abstenir et rester où on est. Non ! On essaie de tenter sa chance ! Quand ils donnent une mensuration de leur zizi, elle est bien souvent fausse, parce qu'ils ne mesurent pas exactement, ils ne savent pas. On perd ainsi... plus de 50% des réponses. Alors il faut écrire aux 50% restant et éliminer ceux qui avaient répondu comme ça, pour voir. Les mensurations que peuvent indiquer ceux qui écrivent une seconde lettre sont aussi fausses que les premières : il faut abattre ici encore un certain pourcentage. Un garçon qui affirme avoir 26cm en a quand même 21 ou 22, et pour un garçon qui affirme en avoir 21 ou 22, il ne faut pas s'attendre à plus de 17 ou 18.

Alors, pourquoi je demande des gros sexes ? D'abord parce que c'est mon fantasme. Mais aussi parce que ces gens-là ont des problèmes. Premièrement, des problèmes pour trouver quelqu'un, fille ou garçon, pour s'en amuser et s'y intéresser. Il est certain qu'avec un sexe énorme, 21xl8cm par exemple — et il y a mieux puisque j'ai déjà rencontré à Paris des garçons qui frisaient les 30cm —, on a des problèmes avec sa partenaire. Secundo, ils ont des problèmes d'érection. Il est évident que pour eux il est nécessaire, hormis de ne pas fumer et de ne pas boire de l'alcool, de régénérer leur vision. Et le fait de s'encanailler avec un garçon comme moi, par petite annonce, leur permet de connaître des moments pas trop désagréables.

Il faut quand même que je précise : avec combien de garçons j'ai couché à trente-cinq ans, on est pas loin de 15.000, hein !

Gi — Est-ce que dans ces relations tu trouves de la jouissance, du plaisir... Est-ce que la jouissance et le plaisir sont le moteur de cette recherche ?

Ja — Mais bien sûr, bien sûr. En fait je crois qu'avoir beaucoup de rencontres permet de connaître une jouissance qui est multipliée par le nombre de rencontres que l'on a. Qu'on s'entende bien. A 35 ans, un garçon normal peut avoir, je crois, 7 jouissances dans la semaine avec un partenaire fixe, idéal qu'il connaît. Eh bien, disons qu'il y a des jours où j'en ai 7 dans la même journée. Parce qu'il y a 7 partenaires différents, 7 nouveautés. Je ne pourrais pas faire l'amour 7 fois dans la même journée, ou 4 fois, avec le même personnage. Je crois que cette recherche de garçons, de garçons nouveaux, me donne une jouissance que je n'aurais pas normalement.

Les dimensions du pouvoir

Gi — Mais pourquoi cette recherche de sexes d'une certaine taille ? Est-ce qu'il y a un rapport au fantasme qui est nourri par la taille de ces sexes ? Est-ce que tu associes ces dimensions à quelque chose qui ne serait pas loin du pouvoir, de la virilité, de la force ?

Ja — Je crois que c'est bien plus simple que cela. Je crois qu'il y a deux façons de faire l'amour. Ou on fait l'amour physiquement, ou on fait l'amour psychiquement. La plupart des gens font l'amour avec leur tête, c'est évident. Moi, je fais l'amour physiquement, et uniquement physiquement. Mais alors pourquoi un gros sexe ? Parce que, et ceux qui ont l'habitude me comprendront, entre 20cm là où je pense et 14, cela se sent, c'est tout. N'importe quel médecin te dira que les garçons ont une prostate différemment placée et... en ce qui me concerne, elle est suffisamment loin pour pouvoir avaler ces quantités de viande. Alors quant à dire si je sens du pouvoir... Je ne sens rien du tout... Au contraire, j'ai l'impression que c'est moi qui ai le pouvoir vis-à-vis de ces garçons.

Gi — Comment ça, tu as le pouvoir ?

Ja — Eh bien, j'ai le pouvoir de les accepter, ce qui n'est pas le cas de tout le monde. Parce que, quand tu demandes à ces mecs : " comment tu fais avec ça ", tu t'aperçois que dans 8 cas sur 10, ils ne trouvent personne. Je ne sais pas si tu vois ce que c'est que 25cm de long sur 18... 18cm, ce n'est pas loin du verre (Jacky me montre son verres). Tu vois la bête (Jacky me montre la photo, prise chez lui, d'un Antillais dont le sexe est impressionnant). C'est un exemple.

Gi — Est-ce que les rapports que tu désires, que tu as avec des hommes, sont installés sur des rôles, actifs ou passifs, relativement stables ?

Ja — Non, c'est du cas par cas. Étant entendu qu'il y a deux paramètres qui sont fixes : ou le type a une énorme bite, ou il ne l'a pas. S'il l'a, et qu'il l'utilise, bien sûr, il est forcément derrière. Si elle est moyenne et si le garçon est physiquement appétissant, il peut être devant. Car il n'y a pas que la bite : il est sûr que si je peux faire l'amour avec un garçon moche qui a une grosse bite, je ne peux pas faire l'amour avec un garçon moche qui n'a pas de bite. L'un compense l'autre. Ou le type a quelque chose et il est forcément derrière, parce que j'aurais envie qu'il soit derrière, ou le type est normalement monté et, dans ... 70% des cas il est devant. Il n'y a donc pas du tout de rôle près précis au départ.

Gi — Il semble que ton regard sur les mecs ne se centre pas uniquement sur leur sexe. Tu as un regard sur leur corps, sur leur visage...

Ja — A partir du moment où le sexe n'est pas ce que j'attends, bien sûr.

Gi — D'abord le sexe, ensuite le corps ?

Ja — C'est très simple. Quand on rencontre un type, on ne le voit pas tout nu, il est habillé. Si il est moche et qu'il me plaît, cela veut dire que différents signes extérieurs — les doigts, le nez, les jambes, les pieds — laissent supposer pas mal de monde dans le slip, et, à ce moment-là, on s'en contente. Ou au contraire, il est super-mignon et on se fout éperdument de ce qu'il a devant. C'est relativement simple.

Gi — Et est-ce que tes rapports excluent l'affectif ou est-ce qu'il t'arrive au contraire d'être attaché ?

Ja — Ah, je crois qu'on est toujours amoureux, mais ça dure le temps que ça dure. C'est-à-dire que si la rencontre commence à 9 heures le soir et qu'elle se termine à 11 heures, on a été parfaitement amoureux pendant deux heures. En ce qui me concerne en tant cas.

Les nanas-mecs

Si — Tu dois savoir que les femmes n'ont pas de pénis. Est-ce que pour autant, elles n'éveillent jamais en toi aucune idée de plaisir ? "

Ja — Si dans ma vie j'ai couché avez 15.000 garçons, j'ai dû coucher avec : 300 femmes. Quel genre de femmes ! Eh bien, c'est un peu tout. Bien souvent elles-mêmes sont ramenées par les garçons, puisque la plupart des garçons que je rencontre ne sont pas typiquement homosexuels. Je suis un cas dans le milieu homosexuel : on ne peut pas me qualifier d'homosexuel pur. Disons que je suis un garçon sexuel, qui est dérivé... et qui, par les relations qu'il s'est faites — parce qu'il fonce, il attaque, il n'attend pas que ça vienne, n'est-ce pas —, fait de nombreuses rencontres homosexuelles. Mais parce qu'il est plus facile de faire l'amour avec un garçon qu'avec une fille, même aujourd'hui.

Mais les femmes éveillent en moi, bien sur, des idées de plaisir. Quelles femmes me plaisent ? Les métis ont beaucoup d'attraits. Et il est sûr qu'on retrouve un peu dans les femmes que j'aime la physionomie d'un petit garçon, c'est-à-dire un petit cul, des petits seins, enfin... un physique pas du tout féminin.

Gi — Pas du tout l'image habituelle de la mère : maternante, gros seins ?

Je — Non, pas du tout l'image de la mère, certainement pas.

Gi — Mais le rapport de performance : taille du pénis etc. que tu as dans tes relations avec les hommes, est-il présent et comment, dans tes relations avec des femmes ?

Ja — Pas du tout. Avec des femmes, mes rapports sont tout à fait classiques. Et dans la plupart des cas, quand je leur annonce la couleur sur mes relations avec des garçons, Je pense qu'elles ne le croient pas. Dans l'esprit de ces filles, comme dans l'esprit de beaucoup de gens, on est pédé ou on ne l'est pas, ce qui est faux. 90% des garçons, mariés ou pas mariés, célibataires ou non, sont faisables ; tout dépend du traquenard dans lequel on les met. Et de l'excuse que le garçon peut se donner. Je suis persuadé que tout garçon de 20 à 35 ans, quelles que soient ses idées, ses pratiques antérieures, on peut faire l'amour avec.

Gi — " On ", c'est toi ?

Ja — Oui bien sûr. Et je dirais même qu'à la limite on peut le sodomiser. Autrement dit, ce n'est même pas une petite sucette vite faite, même pas. Et j ai souvent été très surpris des résultats. Plus le type affirme : " je ne suis pas pédé ", plus c'est celui qu'on peut enculer le plus facilement. Et il n'est pas rare d'ailleurs que dans ce genre de rapport on ait eu droit aux photos de famille avec enfants un quart d'heure plus tôt.

Les valeurs familiales

Gi — Tu es le seul héritier mâle d'une très riche famille de la bourgeoisie traditionnelle. Tu as dû cristalliser tous les espoirs de ton environnement familial et tu as d'ailleurs commencé une brillante carrière sociale. Est-ce que les relations que tu vis sont l'expression d'un refus, d'un rejet des valeurs familiales, ou les vois-tu plutôt comme la recherche, dans ta vie sexuelle, de relations très autoritaires qui peuvent être en rapport avec le type de relations familiales que tu as connues dans ton enfance, la taille du sexe devenant alors la mesure de l'autorité ? "

Ja — Tout d'abord, en ce qui concerne la première partie de ta question. Les espoirs qu'on a fondés en moi... existent toujours, quelles que soient les relations sexuelles que je puisse avoir. Dans mon système personnel de gestion, j'ai côte à côte des vies hermétiquement séparées : la vie professionnelle, la vie amicale et associative, et la partie fesse. Ma vie sexuelle ne change en rien ma place dans la famille. De plus. la famille le sait puisque je l'ai dit moi-même il y a dix ans. Mais on n'en a plus jamais reparlé depuis. c'est le black-out intégral. Mais... dire que je lie le pouvoir au sexe, certainement pas. D'ailleurs je ne comprends pas très bien ta question, pour être clair Je ne vois pas ce que tu veux me faire dire.

Gi — Il y a un aspect de tes relations qui attire particulièrement l'attention. C'est cette recherche un peu frénétique du nombre, de la quantité, de la taille : tout est performance. C'est l'opposé absolu, j'imagine, de toutes les relations qui pouvaient être prônées dans ton milieu familial.

Ja — Oui, bien sûr. Le nombre, faire l'amour avec quinze garçons l'un après l'autre, ou avec cinq garçons anormalement montés, il est sûr que c'est une espèce de performance. Pour la bonne raison que je ne veux pas faire comme les autres. Parce qu'effectivement, pour trouver dix bêtes, c'est facile, on va aux Tuileries ou au Trocadéro et ce n'est pas dix qu'on peut en trouver, c'est trente. C'est comme la pêche, il suffit d'aller dans un étang et se dire : " on pêche tout ce qui mord ", on va sortir trente poissons. Mais si on commence à dire : " je ne sors que des truites qui ont deux ans et qui font vingt-quatre centimètres " — puisqu'une truite qui a deux ans fait vingt-quatre centimètres (en riant) — eh bien on n'en sortira plus trente, mais seulement une ou deux. Et effectivement, c'est une performance certaine, mais où est le pouvoir là-dedans, je n'en sais rien.

Gi — Mais les relations que tu vis sont, dans leur forme, probablement exactement à l'opposé des valeurs familiales qui ont dû t'être inculquées. Ce n'est peut-être pas qu'un hasard et je suppose que tu as dû y réfléchir.

Ja — Non, c'est le genre de problème qui ne me hante pas. Du tout. Je crois que lorsqu'on est dans la famille on joue le rôle familial, et lorsqu'on en est sorti on joue le rôle que l'on veut.

Gi — Je t'ai vu plusieurs fois, déjà, et chaque fois tu m'as parlé de ton père comme de quelqu'un qui t'a particulièrement marqué. Tu avais d'ailleurs dit ton plaisir en annonçant un jour à ton père, de façon provocante, la forme des relations que tu vis.

Ja — Bien sûr, je suis provocateur. Mais ceci étant, il faut savoir que je n'ai jamais présenté à mes parents un de ces garçons-là. D'ailleurs, ils ne me l'ont jamais demandé, ce qui est curieux. Mais je ne réponds pas à ta question ?

Gi — Je ne crois pas que tu y répondes tout à fait.

Ja — Mais je ne vois pas ce que je peux ajouter de plus.

Si je travaillais chez Renault

Gi — On associe parfois le désir de richesse, d'accumulation, au stade anal où l'enfant dans une pratique de rétention ou de don de ses excréments à ses proches, développe un érotisme centré sur son anus. Tu es très riche, et cette richesse peut te permettre de communiquer ou d'asservir. Penses-tu que cette richesse et que ton environnement familial peuvent être liés à l'organisation de ta recherche de plaisir sexuel centré sur ton anus, sur la sodomisation par le plus gros sexe possible :

Ja — Non.

Gi — Cela n'a, à ton avis, aucun rapport ?

Ja — Tu veux dire que mes orientations seraient liées à mon fric ? Il est certain que le fait d'avoir de l'argent libère la tête. Il est certain que ce que la concierge, le voisin du dessus ou le voisin d'en dessous pensent, je m'en fous. Il est sûr que si je travaillais chez Renault et si je devais faire attention au contremaître qui pense ceci ou cela, ça changerait beaucoup de choses. Bien sûr. A partir du moment où je n'ai de comptes à rendre à personne, financièrement mais aussi hiérarchiquement, ce n'est plus du tout lié. C'est sûr que le fric est libérateur. Il n'y a plus de contraintes. Mais je pense que si je n'avais pas eu cette possibilité-là. je n'aurais peut-être pas fait 100% de ce que j'ai réalisé en quinze ans, mais j'en aurais fait 80%, en prenant peut-être un peu plus de risques, bien sûr.

Qu'elles ne fassent pas de chichis

Gi — J'ai remarqué que la façon dont tu évoques tes rapports avec les femmes est très particulière. Tu parles uniquement de les baiser et...

Ja — Mais je les vois ici, je vois comment " ils " font !

Gi — Tu en vois peut-être mais tu ne vois pas les femmes : tu vois des femmes.

Ja — Oui, comme je ne vois pas les bites : je n'en vois toujours qu'une à la fois, ou encore dix à la fois.

Gi — Je crois connaître beaucoup de femmes qui ne mettraient pas les pieds chez toi...

Ja — Ceci est faux. Je connais un noir, Claude, qui a une énorme bite. Et quand je dis énorme, elle n'est pas très longue mais elle fait vingt centimètres de tour. C'est à peu près le verre que j'ai à la main. Il m'est arrivé plusieurs fois de draguer et de faire différents tests avec lui. Pas sur une fille : sur cinq ou six. On amène la fille à la maison, il est deux ou trois heures du matin. Premier cas, tout le monde se déshabille, la fille voit le sexe de Claude et alors elle n'en veut pas. Elle dit : " c'est pas possible, je ne prendrai pas ça " et on ne fait pas l'amour. Autre cas, autre fille ; je prends la précaution d'éteindre toutes les lumières et cela passe très bien. C'est curieux ? Et je peux te dire que si je ne passe pas devant, c'est foutu pour moi. Je suis persuadé qu'une femme qui a goûté à une grosse bite ne revient pas en arrière. D'ailleurs, depuis cinq ou six ans, on voit de plus en plus à Paris, de petites jeunes au bras de négros. C'était impossible il y a dix ans. Or ils ont quand même une mentalité d'amour, de vie, qu'il faut supporter : je les connais bien ! Je croîs que la femme qui vit avec un noir passe des moments avec lui dans le lit qui sont certainement trois ou quatre fois plus vibrants qu'avec un blanc.

Gi — Tu penses que le plaisir de la femme est lié à la grosseur du sexe de l'homme ?

Ja — Non, je n ai pas dit que c'était un plaisir unique. Mais je vois dans les différentes relations que j'ai avec des filles, ici, que ça joue, au même titre que pour un garçon des gros ou des petits seins chez une femme. Il est sûr que la femme regarde aujourd'hui la bite d'une façon plus importante qu'il y a trente ans. J'en suis convaincu. L'histoire avec Claude le confirme. Et après avoir fait l'amour, quand on allume la lumière et qu'elle voit l'engin, elle dît : " Ah ! J'ai jamais vu ça ", mais elle est toute prête à recommencer. Alors que dans le premier cas elle se sauvait en courant. Comme dit un de mes amis médecin : " ces salopes, il passe bien trois kilos par là, alors qu'elles ne fassent pas de chichis " (2) J'ai des amies qui aiment avoir des rapports sexuels. Je leur ai souvent présenté mes garçons par bande de quatre, cinq ou six. Eh bien, l'expérience m'a prouvé que lorsqu'une femme a pris l'habitude d'avoir des énormes bites dans la chatte elle y revient toujours. Mais tu préfères ne pas parler de ces femmes, hein ?

Gi — Non. Mais je connais des femmes qui ont d'autres formes de relations avec des hommes.

Ja — Oui, mais parce qu'elles n'ont peut-être pas essayé. Une femme qui aime se faire bourrer, hein, je suis désolé. si jamais tu prends ce gamin-là comme base (Jacky me montre à nouveau la photo) eh bien tu verras qu'elle y repiquera rapidement.

Propos recueillis par

Gilles Serre-Bête

(1) Jacky Rection n'est évidemment que le pseudonyme d'un homme à qui nous conservons l'anonymat.

(2) Jacky semble ici faire allusion à l'accouchement.

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Revue TYPES  4 - Paroles d’hommes - 1982

https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01429398/document

 


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