Revue TYPES 4 - Paroles d’hommes

Pour une homosexualité douce

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Revue TYPES 4 - Paroles d’hommes - 1982 

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POUR UNE HOMOSEXUALITÉ DOUCE
DU COTE DU SOCIAL ET DES INSTITUTIONS

Rien n'échappe aux conditionnements, aux modes, aux stéréotypes, même ce qui les critique et les conteste : la révolution se donne vite des traits immuables, un genre, un style auxquels il faudra qu'on la reconnaisse et tous ceux qui se réclameront d'elle seront jugés en fonction d'un paramètre, d'un critère forgé par la mode ; l'idée reçue de la révolution décidera du caractère plus ou moins révolutionnaire de telle conception, de tel comportement, eu égard à un néoconformisme intransigeant.

De tous temps et sous tous les cieux, les relations humaines et particulièrement les relations intersexuelles ont été commandées par une définition du masculin et du féminin, de leur rôle respectif, de leur complémentarité ; il n'est jusqu'à leur antagonisme, jugé nécessaire dans certaines limites, qui n'ait été codifié. Nous savons maintenant la relativité de ces définitions, de ces codes de comportement qui sont aussi nombreux et différents que les groupes humains socio-culturels. De même que chaque ethnie se donne pour le type même de l'humanité, considérant les autres comme barbares, bâtards, primitifs ou sauvages, chaque civilisation donne, dans un miroir idéalisé d'elle-même, une définition de la " nature ", du comportement " normal ", reflet de ses aspirations et de ses idéologies.

L'homosexualité, à peu près partout brocardée, quand elle n'est pas réprimée, aurait pu échapper à la catégorisation, puiqu'une fois pour toutes rejetée dans l'infâme, l'indicible ou le pathologique. Mais il n'en est rien. Le genre homosexuel se divise en d'innombrables sousgroupes et tendances dont les uns, dominants, tiennent les autres pour moins que rien. Et il en fut toujours ainsi : dans la Grèce antique, où la pédérastie est hautement estimée comme pédagogie, il paraissait extraordinaire, voire indécent, que s'aiment deux hommes de même âge, et ils devaient s'attendre aux quolibets des couples mieux assortis par une plus grande différence, alors qu'aujourd'hui la ségrégation par classes d'âge est de règle assez stricte et normative.

Ainsi même le phallocratisme est un genre et répond à des conventions. Et l'affectation du mépris et de l'utilisation de l'autre, les attitudes de domination admises par les couples hétérosexuels de certaines civilisations se retrouvent comme signes marquants dans les rapports homosexuels de ces sociétés. Alors même qu'on pourrait les en supposer radicalement exclus par la différence essentielle de ces rapports et la plus vive conscience de la similitude des partenaires, ils sont souvent au contraire l'objet d'une accentuation systématique, jouant de l'effet symbolique emprunté.

Si, en hétérosexualité, la misogynie se fortifie d'une prétendue " passivité " féminine, il est piquant de retrouver ce critère en homosexualité. Sous sa forme dite " active ", l'homosexualité ne met pas en question la virilité et les valeurs qui y sont traditionnellement attachées, tandis que " passive ", elle est synonyme de la pire déchéance. Et beaucoup d'homosexuels honteux, s'ils ne dissimulent pas leur tendance profonde derrière le paravent d'une relation hétérosexuelle (la fameuse bisexualité-alibi) se proclament vite " actifs ", même si on ne leur demande rien, mais à seule fin de se rassurer eux-mêmes sur leur virilité.

Mais où, sinon dans les préjugés tenaces, va-t-on chercher que tel ou tel comportement sexuel est plus actif ou plus passif qu'un autre ? Le plaisir est-il actif ou passif ? : Ne se développe-t-il pas naturellement quand on le laisse aller ? Il est évident que le choix même de ces termes " actif-passif ", pour définir les comportements sexuels, trahit une conception de la sexualité comme lutte. Lutte au nom d'un supposé " pouvoir ". Dominer, se soumettre, prendre, s'approprier, on n'en finirait plus s'il fallait, fut-ce en d'honnêtes limites, dresser le catalogue des termes relatifs au pouvoir couramment utilisés pour exprimer l'activité sexuelle...

Le sado-masochisme est aujourd'hui à la mode, ou plus exactement l'accoutrement sadomasochiste qui extériorise une fascination dont on voudrait se défaire tout en affirmant qu'on n'en a nullement peur. On va même en ce cas jusqu'à parler de " nouvelle homosexualité " ! Encore que la nouveauté n'y apparaisse que sous la forme d'une infantile provocation. On joue à se faire peur pour se sentir " les hommes perdus d'une dureté, d'une violence, radicales ". En vérité, l'agressivité, ne fait qu'y tenter bien maladroitement d'exorciser la peur de la solitude. On feint de cracher sur l'angoisse et de jouer du couteau si l'on parle d'amour, mais c'est la peur de passer à côté, de rater ce qui donnerait sens à l'existence qui tord le cœur et les entrailles. Que la société fonctionne comme une grande truanderie que commandent des rapports de force, qui en disconviendra ? Reste que cette folle peur d'aimer qui se dissimule sous les oripeaux de la pire violence fait parfaitement l'affaire de ceux qui ne voient plus de salut pour le monde que dans la prise de tout pouvoir par une poignée élitiste capable de brutaliser à toutes fins utiles le troupeau bêlant de ceux qui ne font pas montre de la même énergie. Le jeu de la violence, fut-il dérisoire, rend hommage à cette " philosophie " et amène de l'eau à ce moulin prêt à broyer inexorablement ceux-là mêmes qui lui apportent leur concours. A-t-on jamais vu la violence épargner ceux qui ont cru bon de lui sacrifier quelque chose ? Et en particulier cette part d'eux-mêmes (que le semblable comporte), cette part de soi-même qui est écoute, ouverture, disponibilité, attention. A-t-on jamais vu qu'à sacrifier le dialogue, un maître puisse encore apercevoir ne serait-ce que l'esclave censé le nommer ?

A trop sacrifier aux modes ambiantes, on oublie ce qu'on perd, on ne sait même plus au juste ce qu'on désire vraiment. Si dans le monde tel qu'il est, la douceur, la tendresse, la pitié, la compassion sont à réhabiliter, on devrait logiquement s'attendre à y voir l'œuvre d'homosexuels masculins. Actuellement, mettre en avant ces valeurs devrait essentiellement être une initiative masculine. Beaucoup de femmes se sont volontairement exclues de cette tâche ; adoptant le point de vue de leurs émules masculins, elles tendent à répudier et à mépriser à leur tour ce que bafouent les " vrais " hommes, bâtisseurs et conquérants du monde. Elles rejettent résolument des valeurs supposées de second choix, puisque concédées à leur faiblesse. Et revendiquant la part de pouvoir qui leur revient, elles adoptent pour elles-mêmes des attitudes dont les mâles se donnaient jusqu'alors pour les seuls et naturels détenteurs. Quant aux autres, celles qui refusent la compétition avec l'ordre viril et ne cherchent pas à le battre sur son terrain, elles sont systématiquement placées au rang des êtres constitutionnellement fragiles, instinctivement soumis, réclamant protection et indulgence.

Où donc se retrouveraient les valeurs fortes de la douceur et de la tendresse, que certains poètes ont pensé devoir ne prêter qu'à Dieu, tant il est vrai qu'elles semblent aujourd'hui dépourvues du caractère proprement humain d'être choisies et voulues plutôt qu'imposées à une déficience ou disponibles à une surpuissance supposée ?

La découverte de valeurs méconnues par les hommes de la culture occidentale ne peut être que leur affaire. Le retour à ces valeurs concernent d'ailleurs prioritairement les rapports entre les hommes. Il est hors de question (parce que non mis en question) dans les rapports entre exemplaires humains hétérosexuels où la différence anatomo-biologique les impose. Et encore moins nécessaire à effectuer dans les relations entre femmes, où chacun sait que douceur et tendresse dans l'effleurement font spectacle excitant pour le voyeurisme viril admettant sans ambages qu'il y perçoit un appel inconscient à l'intervention phallique sans laquelle décidément il ne saurait y avoir de plaisir vrai, c'est à dire brutalement scandé. Ainsi donc seule la moitié des effectifs humains aurait à retrouver un continent perdu...

" L'axe des relations entre hommes est la lutte pour le pouvoir ; que ce soit individuellement ou en groupe, ils sont en constante rivalité afin d'évaluer leur puissance et s'approprier, sous des formes variées, femmes, richesses et honneurs. L'amitié elle-même, tellement vantée comme un sentiment typiquement masculin, est plus un pacte de non-agression, une brève accalmie dans le combat, qu'un réel plaisir à être bien ensemble ; elle n'est qu'un équilibre subtil entre la compétition et sa mise en veilleuse, et un rien peut suffire à la faire basculer : au moindre espoir de victoire, le fragile armistice est souvent allègrement rompu ". (La Ste Virilité, Emmanuel Reynaud, ed.Syros)

S'ils rompaient franchement avec l'ordre viril, les homosexuels seraient les humains (1) les plus à même de réintroduire dans le monde les valeurs bannies, les plus capables de mettre fin à un ostracisme qui nous prive tous de ce dont, semble-t-il, nous avons le plus besoin, de ce sans quoi le monde est sur le point d'exploser. Rompre avec l'ordre viril n'est point se complaire dans une féminité de pacotille, mauvais pastiche des symboles que le mâle colle aux femmes pour qu'elles fassent vraies à ses yeux, allument son désir sans mériter pour autant la considération qu'il se réserve à lui seul.

" Tout est possible hors des définitions "masculin" et "féminin" et il est bien probable que le désir obsessionnel du corps femelle, que ce soit pour se l'approprier ou en faire un modèle pour le sien, ne pèserait plus très lourd chez le mâle qui entreverrait les potentialités de son propre corps libéré de l'enfermement dans une catégorie de sexe " (Reynaud, op.cit.) L'homosexuel pourrait être ce hors-caste, ce horsain par qui adviendrait cette nouveauté depuis toujours pressentie, mais rarement vécue selon laquelle plaisir, amour et jouissance sont radicalement opposés à pouvoir, appropriation et violence, parce qu'il démontrerait que le corps de l'homme et son sexe ne sont point armure et arme, mais potentialité de volupté et surtout que le plaisir ne naît pas de la différence sexuelle, mais de celle, profondément reconnue et aimée, qui existe entre les individus. C'est à la liberté de rencontres plus riches, plus variées que celles codifiées par les rôles et différences sexuelles que pourraient appeler les homosexuels si entre eux déjà les affinités vraies l'emportaient sur l'impératif de catégories qui devraient leur être étrangères. Aucun amour n'est possible dans l'appropriation : il ne peut y avoir de relations humaines entre des humains dont l'un chosifie l'autre. Loin de se faire complice d'une répression qui l'enferme dans sa différence tenue pour une tare, l'homosexuel pourrait témoigner de ce que chacun est unique et qu'au-delà des obsessions appropriatives et de la sacro-sainte pénétration, tous sont appelés à " s'aventurer dans un monde amoureux où toutes les caresses sont possibles et où la jouissance de chacun suit des chemins inattendus, le long desquels l'entraînent son plaisir et la sensation de l'union au plaisir d'un autre. " (idem)

Dans ce travail de destruction des mythes dont l'homme d'aujourd'hui est prisonnier, les homosexuels semblent donc avoir un beau rôle à jouer, s'ils ne se dérobent pas à la critique qu'ils peuvent eux-mêmes susciter pour s'être trop laissé gagner par une mentalité phallocratique, eux qui peuvent le mieux manifester ce que pourrait être un mâle dépourvu des attributs de cette pseudo-hominisation qui fait de lui un esclave et souvent une brute. Il est bien évident que de soi l'homosexualité ne transcende pas la catégorie " homme ", mais si elle ne peut être la voie de réalisation que de quelques-uns, elle peut être un signe pour tous.

Blaise Noël

(1) NLDR : L'auteur, homosexuel, ne veut pas dire qu'il n'y a que les homosexuel qui... ce que cette formulation pourrait laisser entendre. Certains hétéros dont nous sommes, ont tout autant envie de mener la réflexion, d'accomplir les ruptures qu'évoquent Blaise Noël. Définir une avant-garde en ce domaine ne nous semble pas constituer l'essentiel.

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