Revue TYPES 5 - Paroles d’hommes

Macho et Miso vont en bateau

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Revue TYPES 5 - Paroles d’hommes - 1983 

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Macho et Miso vont en bateau

Macho et Miso rament sec sur une mer déchaînée par les chants des sirènes. Au-dessus de leurs têtes mâles, s'accumulent de sombres concepts : phallocratie, patriarcat, sexage... Et le vent d'Est leur souffle : " L'ouragan libérateur venu du continent noir va engloutir les terres patriarcales ".

Miso, lucide : " Je crois qu'on va écoper ! " Puis, opportuniste : " Il faut changer de cap, on accostera plus facilement chez les homeaux. " Tandis que Macho, sexiste et borné, s'adressant à la mère nourricière : " Sois belle et tais-toi ! "

Et les deux compères, nostalgiques : " Ah ! le temps où il nous suffisait d'une virée dans chaque port pour la tendresse dans les bordels ! "

Le cyclone des ismes est sur le point de réduire en miettes le frêle esquif de leurs anciennes certitudes.

Alors Miso, de plus en plus inquiet : " Faut vite devenir marins d'eaux douces. Là-bas, au loin, il y a cet îlot peuplé de "nouveaux hommes", on essayera de s'y cacher ".

Macho, encore énergique : " Non, car ceux-là sont encore en rapport avec les sorcières ! " Mieux vaut mettre les voiles du côté des terres barbares pour rejouer le despotisme oriental. Allez, en route pour le pays de Yol !

La femme au diable

De tout temps, la femme a été assimilée à un danger pour l'homme. L'ensemble des discours de notre société et de celles qui l'ont précédée est imprégné en permanence de cette fuite/attirance. C'est en particulier à travers les religions, et plus spécifiquement la religion chrétienne, que s'exprime régulièrement cette misogynie que véhicule l'inconscient des hommes : " la femme suscite l'inquiétude, non seulement parce qu'elle est juge de sa sexualité, mais encore parce qu'il l'imagine volontiers insatiable, comparable a un feu qu'il faut sans cesse alimenter, dévorante comme une mante religieuse. " (in J. Delumeau, Les Agents de Satan).

Le texte qui suit, dont l'auteur est historien, est une mise à plat, un reportage à travers ces représentations de la femme que les religions, depuis l'antiquité ont toujours produites : le Diable, le Mal, la Sorcière. Cette fresque et ses personnages dépassent l'institution qui les utilise puisqu'elles hantent l'imaginaire et l'inconscient de tant d'hommes. C'est pourquoi il était difficile — et dérisoire —dans ce texte de multiplier les guillemets ou les commentaires.

Nul ne saurait nier que la femme ait partie liée avec le diable. Tout l'atteste et, contrairement à ce que pense un vain peuple, il ne s'agit pas là d'une trouvaille " judéo-chrétienne " mais d'une affirmation antérieure et universelle.

Femme exaltée, " mère aux seins fidèles ", sagesse divine avec Athéna, canal de toute grâce par la vierge Marie, source d'une connaissance infinie par un seul baiser sur la bouche que lui donne Saint Jean Chrysostome ou par le jet de lait que Saint Bernard recevra du sein même. Vénération peureuse et propitiatoire, marque de l'hostilité réciproque que se portent les deux composantes de l'humanité.

" La femme — écrit Simone de Beauvoir — chaos d'où tout est issu et où tout doit un jour retourner. " Nuit des entrailles, nuit où l'homme est menacé de s'engloutir et qui est le contraire de la fécondité, l'épouvante.

Cette peur de l'homme pour l'étrangère qui épouse des formes humaines trouve une expression privilégiée dans le monde chrétien ; c'est la possession. La femme est " possédée " par la vie, par le corps, par la nature et donc par Satan. Ce qui est en haut, Dieu, le noble, le prêtre, la Dame bascule et tombe dans le monde d'en bas, celui du commerce de chair nécessairement incestueux qui mange l'énergie vitale de l'homme, laquelle s'écoule épuisante et délicieuse.

Source de coupables délices, elle n'est que brièvement objet de désirs, le temps fera d'elle une entremetteuse, une dépositaire de mémoires, de secrets. La sorcière, la " vieille sorcière " c'est une vieille paysanne que l'on exterminera comme dépositaire de secrets tenant d'un ancien ordre des choses. " La chasse aux sorcières, schématise Lévi-Strauss, est un sacrifice rituel, une manœuvre des élites sociales qui se sont servi des hantises diaboliques pour polariser la peur éprouvée par les paysans au sein d'une société où s'opèrent de multiples reclassements sur une figure bien définie : "la vieille sorcière". " Nous ne tenons là qu'une partie de l'explication. A l'évidence, la chasse est ouverte à la femme, au monstre femelle, à la mère ogresse (Médée est du nombre). Pour Michelet il y a un sorcier pour dix mille sorcières ; on tuera, tout au long des XVIe et XVIIe siècles, un sorcier pour quatre sorcières. De même les ogres masculins sont rares. Derrière les accusations portées contre les sorcières tueuses d'enfants pour les offrir à Satan, se trouve dans l'inconscient cette crainte sans âge du démon femelle meurtrier des enfants nouveau-nés. La déesse Kali, mère du monde, est sans doute la représentation la plus grandiose que les hommes aient forgée de la femme destructrice et créatrice : belle et assoiffée de sang.

Créatrice du monde visible par son sexe fécond, la femme est insatiable, comparable à un feu qu'il faut sans cesse alimenter, dévorante comme la mante religieuse. D'Ulysse à Quetzaltcoalt, il importe de ne pas céder à la fascination de Circé. Thème universel de l'homme perdu parce qu'il s'est abandonné à la femme. Notre société n'a pas inventé ces peurs mais très tôt les a intégrées. A la peur de l'homme dont la femme est l'adversaire des " parties hautes " répond, pour la femme, la haine de son sexe. La chasse aux sorcières est liée dans le temps à un vaste mouvement de répression de la sexualité.

Pour mieux tromper l'homme, la femme se peint, se farde, va jusqu'à " placer sur sa tête la chevelure des morts ". Elle aime fréquenter les danses qui allument le désir, elle s'accouple avec le bétail, accepte de s'unir avec son mari à la façon des bêtes, parfois elle s'unit à lui trop tôt après un accouchement ou dans la période de ses règles.

Les reproches sont multiples dans le " De planctu ecclesiae " rédigé au XIVe siècle par le moine Pelayo, Grand Pénitentier de la Cour d'Avignon.

C'est dans la doctrine cathare que l'on trouve la description la plus explicite du péché d'Adam :

" Satan enferma un autre esprit dans un corps de femme fait du côté d'Adam pendant qu'il dormait et le péché d'Adam fut la fornication charnelle. Le serpent accéda à la femme et la souilla avec sa queue et de ce coït naquit Caïn, ce qui se justifie par I Jean 30, 12 : "Caïn était du malin". La femme accoutumée à la luxure s'approcha d'Adam et lui montra comment s'unir à elle et l'en persuada... "

Par la femme, qui est son fidèle agent, Satan est le père de la mauvaise création ; l'auteur de l'œuvre des six jours dont Moïse dit qu'il était Dieu : " Lucifer trouva la matière ductile des quatre éléments (la bonne création du vrai Dieu) et il forma et orna le monde tel qu'il est maintenant comme un potier son vase à partir de l'argile. "

Porteuse de la vie et des arts magiques, la Femme est celle qui sait de façon immémoriale, elle est porteuse de la mémoire des choses et des êtres, en cela elle s'oppose à l'homme sans mémoire, image de l'innocence et de la violence sans lendemain. Ne dit-on pas de la femme que sa vengeance est sournoise ?

La femme est subversive. Étrangère aux lois de la raison et ennemie de l'ordre que ne connaît point son sexe. La subversion féminine est l'une des causes du renversement des hiérarchies et sa perversité s'accroît à mesure que l'on descend l'échelle sociale. Immense le rôle des femmes dans les vieilles séditions paysannes ; elles sont à la tête des émotions populaires contre la chèreté de la vie et la pénurie de farine ; plus anciennement, elles prennent la tête des charivaris, soif de domination d'un sexe qui subit mal les lois du mariage.

Soyons clairs, la femme n'est pas accusée de penser, de commettre le mal, mais de l'incarner. L'incarner au sens le plus littéral, " donner chair " ; le mal consiste à revêtir de chair ce qui est de l'ordre du désir et de la parole.

Yves Lemoine

 

 

De la misogynie des homosexuels

Il est des idées reçues plaisantes à exposer et bonnes à combattre. Celle en particulier qu'il n'y a pas de relations d'entente ou d'affection sincère à attendre entre homosexuels et personnes du sexe opposé.

Cette idée, comme une clef de voûte, repose sur quelques piliers qui la confortent. Ainsi toute lesbienne serait dominée soit par la peur instinctive du mâle, soit par le souvenir de cuisants échecs. Quant aux homosexuels de l'autre bord, affichant leur indifférence pour le beau sexe, ils ne pourraient que lui témoigner un mépris généralisé. Au sein même de l'espèce homophile, les lesbiennes ne laisseraient pas de soupçonner leurs confrères, et d'autant plus qu'ils s'en défendent, d'être fascinés par les seuls prestiges phallocratiques. Tandis que de leur côté, ceux-ci considéreraient leurs consœurs comme hystériques à part entière.

C'est au préjugé concernant l'impossible entente d'un homosexuel avec une femme qu'on voudrait ici s'attaquer. Les images qui le corroborent dans l'opinion publique abondent. Images les plus répandues d'homosexuels dévirilisés se mêlant au groupe des femmes parmi chiffons et balivernes, cosmétiques et falbalas, pour s'initier mimétiquement à l'art de séduire les maîtres dont ils feront des esclaves. Cette espèce là n'aurait avec les femmes que des relations de complicité et de rivalité nécessairement limitées à l'enjeu. Une autre image présente l'homosexuel, snob, salonard, narcissique, victime d'obsessions réduisant son champ visuel aux seuls appâts de sa spécificité. Dans ses meilleurs moments, ce ne serait qu'un hypocrite tout juste capable d'hommages ou d'égards mondains à des personnes supposées respectables en raison de leur congénitale faiblesse.

En somme, tout se réduirait entre eux à des relations d'utilité artistiques ou professionnelles dont chacun tenterait de tirer bénéfice pour la représentation donnée. Nulle compréhension véritable n'interviendrait, rien en tout cas qui ressemble à quelque authentique échange, à la sympathie et au dévouement que suppose amitié ou affection.

On notera que de telles opinions, qui d'ailleurs déterminent bien des comportements, supposent tout autant une caricature facile de l'homosexuel qu'une idée d'elles-mêmes très restrictive sournoisement imposée aux femmes. Pour autant qu'on leur retire la dimension d'objet désirable, celles-ci perdraient toute consistance, toute essentielle réalité. Quant à l'homosexuel, renonçant à l'objet, il se priverait nécessairement du sujet.

On fait aussi apparaître l'homosexuel comme un être profondément troublé par ce que représenterait à ses yeux l'inconnu, le mystère, le gouffre de la féminité. Ainsi se tiendrait-il à distance du risque vertigineux de sombrer dans un abîme sans fond. Sans fond, et par là-même sans surface, lui apparaîtrait l'être féminin tout occupé ailleurs et sans doute à ce dont lui n'a que faire. Il ne verrait autour de lui que des épouses et mères attentives à des activités qu'il ne partage pas. Et même l'échange intellectuel ne s'opérerait que comme entre deux continents ou planètes sans atomes compatibles.

Telles sont au mieux ou au pire les idées reçues que seule l'expérience ou des témoignages peuvent contester. Puisqu'en l'occurrence rien n'est affirmé là qui ne ressorte au domaine de l'opinion.

Nulle idée claire, nul concept rigoureusement défini n'autorise encore l'élaboration d'une théorie démontrable qui privilégierait au contraire la valeur des relations entre un homme et une femme rendus à l'état de purs sujets et délivrés des fauxsemblants et tromperies des jeux de séduction. C'est pourtant à quoi il conviendrait de s'appliquer. Tant est nocif pour chacun ce préjugé de misogynie qui entoure les faits et gestes des homosexuels. Tant est mal fondée l'exclusive dont ils sont victimes dès lors qu'ils tentent une approche originale à partir d'un désir différent.

Que le sexe soit non-humain, que le désir, fondamentalement indifférencié, ne soit pas obsessionnellement bloqué sur l'activité strictement sexuelle, c'est peut-être une découverte dont il faudrait concrètement tenir compte. Le désir ignore les découpages — faudrait-il dire les " charcutages " ? — qu'espèrent l'anatomo-biologie et la psycho-sociologie. L'attachement de l'esprit et du coeur indépendamment du sexe de l'objet n'est pas seulement le fait de l'enfance, encore que chez l'adulte il puisse témoigner de cet esprit d'enfance et de liberté qui se refuse à réduire l'intérêt interpersonnel à une quelconque attirance quasi chimique.

D'aucuns tiennent le sexe pour leur unique fin, libre à eux. Il est d'autres perspectives où, sans en faire un simple appendice reproducteur à l'exercice parfois gratifié d'une prime de plaisir, il se trouve situé dans un ensemble où ce qui compte le plus c'est l'échange, le partage des émotions, la réciprocité des sentiments, incluant les émois épidermiques mais n'y réduisant pas la globalité des interférences. La sexualité est alors au service de la rencontre interpersonnelle en sa recherche d'intimité, qui peut bien faire parfois l'économie des tours et détours qu'impose souvent le désir.

L'autre recherché comme personne n'est pas de soi le partenaire sexuel propre à satisfaire un besoin. Le passage de la sexualité animale à l'humaine, et donc fragile, dialectique amoureuse laisse disponible un créneau à un mode privilégié d'intimité dépassant toute relation sexuelle sans cesser pour autant d'être concret. Ce type de relation ne pourrait-il pas alors être perçu comme un voyant lumineux au tableau de bord du psychisme humain ? La sexualité, en effet, ne nous fait-elle pas sempiternellement naviguer entre la promesse d'une communion personnelle totale et la menace d'une satisfaction maximale réductrice de la personne à l'objet ?

Seul objet sexuel socialement désigné, " la femme " serait le manque attribué à la relation homosexuelle. De là à supposer les femmes éliminées de la vie de tout homosexuel masculin, la réduction est facile. Surtout si est admis l'a priori qui veut que du fait de son histoire familiale l'homosexuel soit radicalement fermé à toute approche féminine. Mais cette extrême diminution du champ des plaisirs et des ententes susceptibles d'être partagés est bien affligeante. N'est-il pas grand temps que les femmes, qui à juste titre revendiquent une autre place dans la société, favorisent avec les homosexuels une convivialité dépassant les limites de la psychose socio-sexuelle ?

Pourquoi la moitié de l'humanité me serait-elle étrangère dès l'instant où ma sensibilité s'exerce dans la recherche de plus fines nuances que les oppositions ou les altérités radicales du sexe ? Et pourquoi serais-je moins disponible, moins ouvert, moins généreux dans l'écoute et le partage qu'un autre homme, mon frère, ou qu'une autre femme, ma soeur ? Pourquoi, ne la désirant pas, ne pourrais-je aimer cette personne faite comme moi pour le partage des joies et des peines ?

Qu'un fils ou un époux vienne à se plaindre d'abus dont il pourrait être victime de la part de telle femme qu'il est censé adorer, nul n'y voit à redire. Qu'une sourde complainte traîne ici et là à l'encontre des légèretés, cruautés et bizarreries féminines, nul ne s'en étonne. De l'utilisation commerciale ou promotionnelle des charmes de la compagne, légitime ou dépourvue de cette qualité, la plupart des humains s'accommodent très bien. Mais qu'un homme s'avise de faire état d'une dissension, fût-elle mineure, avec une personne de l'autre sexe, alors tous de crier haro ! comme si de quelque misogynie inconsciente chacun se voulait laver les mains...

Il est temps que les femmes s'aperçoivent qu'elles ont en leur combat des alliés qu'on leur cache. Et qu'un grand pas dans la libération des oppressions en tous genres serait fait avec le geste d'une mutuelle reconnaissance.

Blaise Noël

Frères étrangers

" YOL  " : Une prison. Des hommes, une permission mythique, prétexte à les suivre, à pénétrer avec eux la Turquie. Ils vont un peu partout, ils vont partout un peu retrouver la même histoire, qui se lance peu à peu au rythme de ces bateaux, de ces trains qui les emmènent, qui nous prend et ne nous lâchera plus. C'est loin, c'est en Anatolie, c'est au Kurdistan, pourtant cette histoire c'est la nôtre, théâtralisée par la violence, par la démesure de ce patriarcat qu'emmène avec lui l'Islam, par la quotidienneté de la mort. C'est l'histoire du désespoir d'être hommes.

Mes insupportables, mes inacceptables, mes inavouables frères... Seyit, mon frère, je t'aime pour ce refus de te sentir vraiment déshonoré, pour cette tendresse qui s'accroche à toi, qui t'empêche de croire vraiment à ton rôle de vengeur sacré. Seyit, mon frère, je te hais pour cette soumission au regard des autres, je nous hais pour cette façon de faire les choix honteux par procuration. N'ouvrir les yeux que quand on est sûr d'être allé trop loin. Jouer cette comédie lamentable et sinistre du " jugement de Dieu ", encore plus crapuleuse, s'il y a des degrés dans l'horreur, qu'une froide exécution. Il n'y a que ton fils pour oser te le dire : " Si tu ne voulais pas d'elle, il ne fallait pas l'emmener ". Il est trop jeune, il n'est pas encore tout à fait dans la règle du jeu... Mais ça viendra. Seyit, je nous hais de savoir que tes meurtres ont le même mécanisme que mes merdouilles quotidiennes.

Toi, mon frère dont j'ai déjà oublié le nom, mais pas le visage, toi le " lâche ", je t'aime d'avoir eu peur, je t'aime de n'avoir par eu peur de le dire, d'avoir voulu être " homme " à contrecourant, de ce courage simple, grandiose et démesuré. Je te hais pourtant de la bêtise encore plus démesurée de ce courage-là, de n'avoir pas compris que face au totalitarisme, le mensonge est un devoir, la vérité c'est de la confiture aux cochons, je te hais d'avoir suicidé la petite étincelle de rébellion qui couvait en toi, je vous hais tous pour toutes ces femmes que vous entraînez immanquablement dans vos tristes naufrages.

Guney, mon frère, je t'aime pour nous avoir donné YOL, pour cette force que j'y puise, je t'aime de croire qu'elle réveillera quelque chose, et je te hais de ce patriarcat que tu portes encore en toi, de cette grandeur épique que tu donnes, encore et malgré tout, à ces dérisoires pantins d'une féodalité en décomposition, je nous hais d'avoir senti cette grandeur et je t'aime encore peut-être de n'avoir pas fui cette contradiction.

Et vous, qui étiez assis à quelques pas de moi dans l'obscurité de ce cinéma, qui êtes sortis en rangs d'oignons — comme moi —, calmes, civilisés, les joues sèches — comme moi —, je ne saurai jamais si vous aviez cette boule dans la gorge et je nous hais de ce silence, de cette pauvre honte, et je nous aime de croire que ces larmes que j'ai enfin laissé couler à la faveur de la nuit, de la pluie et du vent, j'étais pas tout seul...

Jean-Louis Viovy

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Revue TYPES  5 - Paroles d’hommes - 1983

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