Revue TYPES 5 - Paroles d’hommes

Amour granit

EuroPROFEM - The European Men Profeminist Network europrofem.org 

Contributions by language

 

Précédente Accueil Suivante

12_type5.htm

 

Revue TYPES 5 - Paroles d’hommes - 1983 

----------------------------------------------------------------------------------

Je t'aime, moi non plus (2) 

Amour granit

La pluie tombait drue quand j'entrais dans ce café impersonnel aux lumières blafardes, je me secouai et me mis à frissonner. Le café était rempli d'une foule multicolore, il n'y avait plus de places assises, enfin presque puisque je vis un box occupé seulement par ce qu'il me semblait être un garçon de mon âge. Je m'avançai et m'apprêtai à lui demander s'il acceptait que... quand il m'interrompit et me dit " assieds-toi ".

Je le regardai, son regard était triste et ses yeux brillaient, c'était le regard de quelqu'un qui attend quelque personne certainement en retard qui n'arrive plus. Nous avons commandé deux chocolats, puis il s'est mis à me parler de la personne qu'il attendait en vain. Ses doigts tournaient la tasse d'un geste nerveux, il but une gorgée, ferma les yeux et continua...

...elle n'arrive pas, elle est toujours en retard, j'ai froid, je n'arrive pas à m'habituer à ses retards, on dirait qu'elle le fait exprès, je suis toujours en avance, comme si j'avais peur de la rater, de la perdre. Je hais ces horloges qui nous dictent les départs et les arrivées. Tu crois qu'elle a changé ?

— Je ne sais pas, je ne la connais pas, je voulus lui répondre mais il ne me laissa pas continuer.

— Je ne veux pas qu'elle change, ce n'est pas possible, je ne veux pas qu'elle voit mes yeux briller. Les siens sont gris, gris velours, j'ai toujours envie de caresser son regard, ce regard qui me déchire et me trouble. Tu vois ce foulard, elle ne me l'a pas offert, elle l'a oublié un matin chez moi, et depuis, je le porte comme un parfum, comme un peu d'elle-même, je me sens fondre dans sa joliesse, dans son corps de femme-enfant, c'est comme si elle posait ses mains sur mes épaules.

Souvent j'ai envie de l'appeler, et j'hésite devant ce téléphone muet, je voudrais faire son numéro, et sa voix viendra, douce et inquiétante à la fois parce que mon cœur battra la chamade, parce que je voudrais l'avoir plus souvent près de moi, parce que je voudrais être le temps et l'emprisonner dans mes aiguilles et égrener les minutes sur sa peau...

Tu ne sais pas, mais elle est belle, mais pas d'une beauté plastique comme celles qui nous vampent dans les magazines, elle est comme certains parfums, volatiles et instables, que l'on voudrait définir pour mieux les respirer et qui réussissent tout juste à nous chavirer.

Avec elle je n'ai plus envie de parler, je ne dis rien, et parfois j'ai l'impression de l'ennuyer, d'être un idiot. La nuit, je la regarde dormir, j'ai envie de la caresser et je n'ose pas, de peur de la réveiller, de peur de la voir partir, et pire, de ne pas la voir revenir, je retiens ma respiration, je frôle le duvet de son corps avec les lèvres, j'aime son regard, son silence, quand elle ferme les yeux, l'amour grandit.

Il se mit à regarder sa montre et à bougonner. Elle n'arrive toujours pas, elle doit le faire exprès, non, ce n'est pas vrai, elle a eu un empêchement, elle a raté son bus. Parfois je la hais, je lui en veux de m'avoir rendu ainsi. Quelle connerie, l'Amour, je voudrais le voir crever à mes pieds, cet être froid qui me rend fou, qui me fait souffrir, qui me tord l'estomac, il est Diable avant que d'être tendre. Elle est en moi et irrigue mes vaisseaux de ses douces incantations.

Son silence me surprend, ses yeux attirent mon regard, ils semblent fixer un point par dessus mon épaule. Je me retourne doucement, une jeune femme remonte l'allée, elle semble venir vers nous, elle vient vers nous, elle sourit. C'est vrai qu'elle est belle, une étrange langueur m'envahit, j'ai envie de fuir, de me lever et de courir très loin d'elle, j'ai peur d'elle, de cette inconnue, mais je suis paralysé et je me sens cloué à la banquette de moleskine.

Je me retourne vers son Ami, mais la place est vide. Sur la table, il n'y a qu'une tasse, la mienne, j'ai mal à la tête, je ferme les yeux, j'ai l'impression de délirer, de... Elle me prend dans ses bras, me serre tout doucement et m'embrasse sans rien dire... Emmène-moi loin d'ici, je t'en prie...

Pierre-Yves Menkhoff.

 

Faits d'amour  

Il et elle sont là confortablement installés à faire l'amour, elle se tient sur lui et semble se faire plaisir.

Le voyage proposé est plus précisément un voyage à travers lui, ses pensées secrètes et ses sensations corporelles, voyage à travers hier et peut-être demain.

Pour l'instant présent, il est allongé de tout son long sur le dos, les pieds plantés dans ce lit bien dur, il a les yeux fermés et parfois il lui arrive de les ouvrir pour la regarder. Elle aussi a les yeux fermés, des gémissements viennent ponctuer le rythme de ses expirations d'une musique répétitive en forme de " a.a.h. "

Elle se frotte le bassin contre le sien dans un mouvement régulier de rotation, ondulation de sa colonne, de ses épaules, de sa tête et de ses bras. Parfois des secousses intenses viennent plisser son visage d'une grimace qui ressemble étrangement à de la douleur si nous ne savions pas par avance qu'ils sont en train de faire et de défaire ce qui pudiquement s'appelle " l'amour ".

D'ailleurs, qu'en sait-il de son plaisir à elle ? A la voir ainsi, une pensée lui traverse : l'esprit comme un nuage, concentration d'une vapeur de culpabilité, " ce n'est pas possible, je suis en train de lui faire mal ". Le temps d'un éclair de seconde, il s'imagine qu'un couteau s'enfonce doucement dans le creux de ses reins, venant lui faire cambrer son dos, et provoquant un " aah " plus fort qu'à l'accoutumée : une réaction violente qui viendrait écarteler sa bouche et chiffonner la partie supérieure de son faciès. Vite il se rassure en se disant simplement que dans cet instant où son corps et son bassin se positionnent, elle vient d'accéder à un point particulièrement sensible.

Questionnement des plus troublant, fossé inéluctable que son esprit ne parvient pas à combler.

Peut-être tout à l'heure, après l'" amour ", éprouvera-t-il le besoin de lui en parler, de lui dire : " Rassure-moi c'était comment tout à l'heure ? " et elle partira d'un éclat de rire.

Pour l'heure, elle est là, appliquée à se chercher, à trouver en elle la voie qui mène à. Parfois fatiguée, elle s'allonge tranquillement sur lui pour se reposer ; il la prend dans ses bras ; halte douce avant de repartir pour une nouvelle danse de son être en devenir.

Et lui ?

Aujourd'hui, c'est elle qui danse ! C'est elle qui " mène la danse " pourrait-on dire ? C'est elle qui lui " fait l'amour " pourrait-on dire !

— Mais c'est quoi l'" amour " dans son cas à lui ?

— Mais de quels " faits " d'amour s'agit-il ?

— Faits divers de l'expérience bi-hebdomadaire ?

— Faits de guerre d'une lutte de dominance inachevée ?

— Faits et gestes d'une rencontre qui a ou n'a pas lieu d'être... appelée " rencontre " ?

Aujourd'hui, il est là partenaire " passif " de sa danse à elle, de leur danse. Mais en même temps, il n'est pas là, il danse à la fois là et ailleurs. Sa tête véhicule à un rythme abrutissant la valse des hésitations mentales, son corps lui aussi hésite entre le feu dévorant de son sexe stimulé et le désir que ça n'en finisse pas si vite !

Où est-il ?

Certes il est ce partenaire attentif qui participe " amoureusement " à l'acte nommé " amour " scène classée d'une pièce de théâtre intime jouée en duo.

Le temps d'une séquence, il se vit comme figurant : ce corps allongé, ce sexe qui bande, ces bras qui enlacent, ne lui appartiennent plus, c'est elle qui les " a ", du moins c'est ainsi qu'il le voit. Elle le possède. Tout cela n'est pas pour lui c'est pour elle. Il se contrôle, il essaie de se conformer à ce qu'il suppose être son désir. Il ne sait pas, il essaie de deviner, il n'existe plus en tant que tel, il tente d'être le pourvoyeur du plaisir de sa dame, le chevalier servant de sa jouissance. Pourtant elle, son amie d'aujourd'hui ne lui a rien demandé de tel ! Peut-être une autre dans des temps reculés le lui auraitelle demandé ?

Peut-être est-ce lui tout seul qui s'est fabriqué cette idée pour conjuguer quelque peur phénoménale sous le mode répétitif du passé-présent ?

Le temps de cette séquence, un seul souci envahit son esprit. " Comment puis-je faire pour lui faire plaisir ? Faire que ça dure ! M'adapter à elle ! " Pendant que son esprit se fait inonder du flot de ses pensées, il en oublie même de respirer. Il en oublie son corps, il en oublie son sexe jusqu'à ce que celui-ci soit menacé lui aussi d'être inondé d'une brûlure trop soudaine, inondé d'une brûlure qui arrive en fin de parcours à inonder son sexe à elle d'une " jouissance ! " prématurée. " Jouissance " venant par là éteindre la flamme qui l'animait. Bref, tout le contraire de ce qui était voulu au départ :

Aujourd'hui, il n'ira pas jusque là ; il sent cela venir et lui parlera à elle. " On arrête un peu, je ne me sens pas bien ! " Aujourd'hui, il va oser parler, se manifester. Mais combien de fois n'a-t-il pas bu le vin aigre jusqu'à la lie.

Avant-hier, la semaine dernière durant des années, (peut-être dans un de ces demains), il s'est senti humilié. Il se vivait comme le rabat-joie, le ciel triste qui vient déverser son orage de pluie lors de la fête de la Saint-Jean : " Le feu est fini, la danse aussi, chacun rentre chez soi, c'est terminé ! "

Tandis qu'il s'imaginait lui dire oui et faire tout ce qu'il fallait pour (elle ?) ; son corps du plus profond de lui criait : NON ! L 'homme, écartelé, dissocié, plongé dans les affres d'une lutte intérieure.

" Non, je ne te donnerai pas ce que tu veux. "

" NON ! NON ! et NON ! "

Triste Don Quichotte qui se bat désespérément contre le moulin à vent qu'il suppose être " l'exigence féminine " !

Dans le conflit interne, inutile de dire que c'était toujours le même qui avait le dernier " mot " : " Non " ; même si celui-ci n'a jamais été prononcé à haute voix même si les voix qui l'entouraient étaient celles de l'autre : " Je suis vraiment désolé. "

A cet instant de vague à l'âme et d'élucubrations mentales, il a la redoutable impression que son attitude est conditionnée par la tendance à l'inanition de son organisme prématurément rouillé. Bien sûr, faute en est souvent d'être resté de trop longs moments sans faire l'amour. Mais cela n'est peut-être qu'une excuse, la relation sexuelle vient alors déranger un état du corps qui s'ankylose, qui entre dans une sorte de somnolence. Dans ce corps groggy, le plaisir arrive comme un visiteur importun, il met sens dessus dessous une organisation précaire qui n'est pas prête, loin de là, à le recevoir, d'où la tentative de l'éconduire dans les plus brefs délais : version ossifiée du " NON " de tout à l'heure.

Parfois il aimerait s'autoriser à crier ce NON haut et fort à l'exprimer comme une bête. Il la baiserait avec force comme chacun l'imagine dans la plus classique des représentations de cinéma ; envoyant avec force des coups de butoir, utilisant son bassin comme les béliers qui servaient à enfoncer les portes des châteaux-forts du moyen-âge. Mythe du mâle sauvage et brutal qui, pour évacuer le sentiment de se faire posséder par elle, tente de la posséder, d'en faire son territoire de conquête. Ce serait sa manière de lui faire payer à elle le fait qu'une autre l'avait bien eu, sous sa " coupe ", sous ses jupons, sous sa dépendance, sous la peau de son ventre. Devenu grand, il allait se venger, lui en faire voir de toutes les couleurs : tragédie d'une destination impossible.

Pour l'heure présente, il revient à lui, il pense à tout cela, à lui, à sa culpabilité latente d'avoir arrêté les " ébats ". Elle est là, elle le regarde toute étonnée de ce qui se passe ; encore toute chaude des sensations qui l'animaient encore voici quelques instants. Elle attend.

Il a du mal à trouver les mots pour le dire, d'ailleurs il ne sait pas trop bien ; il sait juste que s'il continue à faire " comme si tout allait bien ", eh bien justement ça ne serait pas bien. Il se sentirait lâche par rapport à lui-même et par rapport à elle. Il la regarde. Il et elle se regardent. Il se sent en confiance et il lui parle, elle écoute, peut-être à cet instant-là y a-t-il de l'amour qui passe !

Par petites touches, il se sent revivre. Il est triste de tout cela. Il aurait tant voulu partager son plaisir à elle. Il aurait voulu que ce soit simple, très simple. Il aurait tant voulu " lui faire l'amour ". Il aurait tant voulu prendre " un pied terrible ".

Mais l'évidence est là, irrésistible : cela n'est pas le cas. Ces volontés là ne sont pas au rendez-vous. Point n'est besoin d'aller prier " que ma volonté soit faite " auprès de quelques nouveaux techniciens du sexe ou de déposer un cierge sur l'autel du hasard.

Il a du mal à admettre, c'est comme s'il devait se résoudre devant une force inattendue. Il finit par accepter. Au point où il en est, il n'a pas d'autre solution. C'est tout un univers qui craque ; un univers d'images de lui ; il se sent bizarrement tout nu ; il est triste. Doucement, gravement, il lui parle ; de longs moments de silence donnent une impression de solennité. Bien qu'il ne bande presque plus, il aime bien sentir son sexe dans le sien. Il a envie d'être tout entier contre elle, de mettre son cœur contre ses seins, contre son corps.

Des sanglots viennent soulever sa poitrine. Il a les larmes aux yeux. Doucement il se met à avoir envie de pleurer. Petit à petit, des spasmes de plus en plus violents le traversent et contractent son diaphragme. Il se sent traversé d'un plaisir diffus qui lui vient du sexe. Sa voix ne s'étrangle plus. Il laisse éclater ses sanglots. Il se tord de convulsions dont personne ne sait plus si elles ont pour nom " douleur " ou " plaisir ". A l'entendre, on croirait un bébé qui gémit. Son corps entier de la tête aux pieds est secoué de ces convulsions puissantes. Ils se retournent et elle le prend dans ses bras. Tout cela échappe autant à elle qu'à lui.

Il a renoncé à comprendre ce qui se passe. Tout ça, c'est comme si ce n'était pas lui qui décide. Il se laisse faire, il se laisse traverser par ce qui vient. Et précisément ce qui vient est un bien étrange mélange !

Jean-Louis Le Grand

 

Pourquoi on pleure ?

Pourquoi on pleure la nuit dans le lit, quand on est grand ?

Dis...

...Et les mots qui déferlent dans la tête, ces mots qu'on ne peut contenir. Ceux qui viennent me répéter, et bien me redire encore cette mort, ma mort, la mort de ce lien qui m'unissait à Elle... Pourquoi ça ne s'arrête pas ?

Et aussi ma culpabilité. Avoir tout induit, tout fait chuter, tout fracassé... Et là, dans ce moment, allongé, battu par ces mots comme un récif anguleux et stérile. Ces draps trop secs...

Et toujours ?

...Tout, et tout qui marche en moi sur des Idées, ça semble tellement me satisfaire. Il me suffit de dire : " les gens pourraient s'aimer, s'accorder de la tendresse... cette tendresse dont nous manquons tant... ", pour que je croie que cela existe déjà, la civilisation du bonheur idyllique (?) Pour que je pense que contrairement à mon père, je n'immiscerai pas le mensonge dans mes rapports. Ah non ! je ne camouflerai pas. Enfin, presque pas. Ce que je crois, je le fais. Simples relations de tendresse avec les autres, où faire l'amour n'a plus de sens, perd son sens. Acte banalisé. Mais après, pour le dire à celle, (elle qui m'importe vraiment), je biaise et je calfeutre mes mots ; car au fond, je ne suis pas sûr que cet idéal monté de toutes pièces, cette théorisation globalisante, ça corresponde à quelque chose que je désire vraiment ! A quelque chose qu'Elle comprenne.

La nuit quand il fait noir, couché ; je me rappelle...

Elle dit : " Je pars ! Je ne comprends pas... " Je ne dis rien, je n'ai rien à dire. Elle dit : " C'est trop pour moi. " Et je ne peux expliquer...

Elle t'amertume. Moi, j'ai mon fouillis d'homme que je commence à peine à démêler. Mais il est encore trop tôt, très tôt... Je confonds encore beaucoup de choses... Est-ce que je regarde l'autre, seulement là où il en est, et en devenir ? Je confonds désir et marche à suivre... Tout, tout...

Elle, se raidit de colère, et me fusille du regard sans fausse complaisance...

Moi, je réponds à voix basse, repoussé dans mon brouillard... avant de me raidir sous les mots qui font mal à être regardés en face.

Avant de nous dépecer ?

Dis, Dis... Dis ? Pourquoi on pleure la nuit dans le lit, quand on est grand ?

Lui (autre)

Parce que tu te noies, peut-être, dans la tendresse de ces femmes, de " ces simples relations "... Parce que tu crois encore que ta liberté/identité réside dans les miroirs de leurs yeux ?

Oui, ici nous ne faisons que trop mal depuis trop peu de temps, aussi éclater nos carcasses d'hommes polies par nos virilités rassurantes (?!)... Nos paroles et nos gestes ne sont encore qu'ébauches, chargées pourtant de promesses. Et quand nous allons mal, nous n'allons pas nous voir. Non, nous allons voir une femme, une copine... Nous nous fuyons. C'est sans doute pour ça, que tu pleures ?

Lui

Quand tout s'emmêle sans fin dans cette impression et impuissance à me trouver ! A me vivre... La Nuit !

Bernard Pueyo

--------------------------------------------------------------------

Revue TYPES  5 - Paroles d’hommes - 1983

https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01429398/document

 


Précédente Accueil Suivante