Revue TYPES - Paroles d’hommes n°6 - 1984
Changements

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CHANGEMENTS

Qu'ont apporté aux hommes et aux femmes les remises en cause des modèles dominants, du sexisme et des normes masculines ? Le groupe composé de huit personnes s'est réuni douze fois pour tenter de répondre à ces questions et à d'autres. Changement ! Le sujet était vaste car il permet de parler de tout : les anciens et les nouveaux comportements sous toutes leurs formes... travail, éducation des enfants, procréation, contraception, sexualité, amour, mode de relation, etc., et bien sûr de nous-mêmes.

Nos débats ont été riches mais peu organisés pour apporter de " grandes conclusions " ou messages. Difficile donc d'en tirer une belle synthèse. Nous avons choisi d'en livrer un compte-rendu à plusieurs voix à partir des notes prises au cours des réunions et des souvenirs des quatre participant(e)s qui ont tenté d'écrire un bilan du groupe.

K.O., E.A., J.-Y.R.

 

changements ?

Pour qui ? D'où ? Vers quoi ?

Nous sommes une huitaine dans ce groupe, entre trente et trente-cinq ans, avec des expériences différentes, ayant vécu une ou plusieurs relations de couple... Savoir déjà chacune/chacun d'où on est partie, où on en est aujourd'hui, 10 mai 1983 (pour moi, et pour Katy une autre fille du grouper notre arrivée dans le groupe s'est faite lors de " leur réunion " du 10 mai, soit une demi-douzaine de réunions après le début).

Et puis soi-même, on n'a pas toujours beaucoup réfléchi à son propre changement de quinze à trente ans, de vingt-cinq à trente ans...

On a vécu, on se souvient un peu de ses anciennes conceptions de la vie, de l'amour avec et sans majuscule, on est passé de fille en femme, pour moi de femme en mère par trois fois, avec allers-retours permanents de la femme qui est moi à la mère que je suis devenue mais qui n'occupe pas tout mon être.

Des changements il y en a eu tellement ! Il y en a tellement d'autres en attente, en espérance. . .

Joli thème de réflexion !

Mais, devant/avec des autres/des inconnu(e)s dont on ne connaît rien, parler de ce qui a changé pour soi sans prendre toute la place, être capable de faire, rapidement le point sur ce qui a changé, se faire comprendre des autres et, dans l'arrière-fond de tout ça, participer à un numéro mixte de " Types, paroles d'hommes ", non-mixte.

Pas facile...

Pas l'habitude de ce genre de " travail ", de ces constats de vie avec des hommes avec des femmes, oui, depuis si longtemps que nous parlons de nos illusions, désillusions, ambitions, unions, fusions, séparations.

Tout est plus difficile avec eux à cause de la séduction ? Comme si cela ne jouait pas aussi entre femmes... Peut-être aussi à cause de nos histoires différentes... Et puis on ne craint pas le même regard.

Dès la première rencontre avec le groupe " Changements ", difficulté à comprendre où on se place.

En même temps, satisfaction de se retrouver autour d'un projet commun, de savoir que quelque chose nous réunit tous alors que l'on ne se connaît pas.

Le terrain des expériences personnelles est nécessaire pour comprendre de quoi on parle, pour ne pas rester dans l'abstrait. Cependant, ce retour aux histoires passées, au privé de chacun(e) est parfois trop envahissant car le narcissisme des uns fait ombrage à celui des autres.

Et puis toutes/tous n'ont pas la même aptitude à se " raconter " !

On arrive en cours de route et on s'aperçoit que le ton des discussions est déjà là : pas de présentation — sinon minimale. On ne saura pas comment les autres sont arrivés ici, ni pourquoi. Mais d'emblée, il faut dire ce que l'on pense des rencontres femmes/hommes, comment elles se font et se défont, comment il faudrait peut-être mieux qu'elles se fassent si l'on veut en finir avec... mais avec quoi au juste ? avec les " vieux codes " ?

Élaboration à plusieurs voix — souvent contradictoires — de situations " idéales " où le désir... le respect... l'autonomie à moins que ce ne soit le contraire...

Discussions maintes fois au bord du gouffre : éviter l'écueil de la banalité, de la redite — oh ! cette impression d'avoir si souvent lu dans des magazines — féminins, bien sûr ! — ce que nous nous racontons si gentiment, avec tant de sincérité.

Chacun essaie de partir du particulier, avec plus ou moins d'habitude, pour tirer des " lois ", en s'impliquant. Chacun essaie d'observer les interactions de sa vie privée et de sa vie publique. C'est pas évident !

Alors on repart jusqu'à la prochaine réunion avec des impressions très différentes d'avoir " avancé ".

Car on a envie d'avancer (numéro de la revue à écrire) et le temps presse. On y croit... du moins à la réalité de nos discussions. Mais ici, c'est l'auberge espagnole : on n'avance que par ce que l'on avance... Et peut-être ne fait-on avancer que soi ? Cela n'est pas sans intérêt... sauf pour les futurs lecteurs de la revue !

Alors, pour voir plus clair, on fait le tour des thèmes que chacun a envie de voir abordés.

Long tour de table où énoncer un thème revient souvent à justifier son importance et à ébaucher (parfois longuement) la discussion. Problème de recentrage ou nécessité de débroussailler le terrain... Nous avons vécu cela très différemment et ceux qui sont restés jusqu'au bout ont dû penser que ce débroussaillage était une étape importante à ne pas survoler... Début juillet nous surprit au beau milieu de nos discussions...

Avec le temps aussi, les langues se déliaient et on savait mieux vers où on allait.

On a pu assister à de belles joutes oratoires car sur beaucoup de points (de détails seulement ?), il n'y avait pas d'unanimité sur ce que les femmes d'une part et les hommes d'autre part ont à perdre et à gagner au changement... sujet qui nous a tenu " en haleine " pendant les deux ou trois dernières réunions.

On était assez d'accord sur ce que l'on avait à perdre : repères, tranquillité, passivité... Il fallait imaginer ce que l'on avait à gagner.

Du côté des femmes, cela ne se compte plus sur les doigts de la main... C'est plutôt du côté des hommes que c'est difficile de savoir ce qu'ils veulent vraiment perdre, au-delà de leurs déclarations d'intentions ! Notamment à propos du pouvoir. Bien sûr, il y a les groupes hommes, leur nouvelle parole d'homme à hommes, mais quant à celle d'homme à femme, tout est loin d'être clair, il y a encore beaucoup de travail...

C'est au moins — si j'avais envie d'en avoir des preuves — ce que m'auront permis de mieux saisir ces réunions du groupe " Changements ".

Plus d'interrogations que de réponses aux questions. Un grand désir de communication... comme si entre hommes et femmes, cette communication était interrompue depuis longtemps en dehors des relations affectives.

Alors résumer ces interrogations ? Non, l'important c'est ce bouillonnement de questions qui doit continuer et exister en dehors de ce groupe de " recherche de chambre ".

Emmanuelle Avignon

 

Le changement, finalement c'est pas triste

Contraception, autonomie financière, entrée massive dans le monde du travail, droit à disposer de leurs corps... Ces transformations de la condition des femmes, caractérisées par certains comme " l'évolution des mœurs ", doivent beaucoup aux luttes du mouvement des femmes.

Qu'ont apporté ces changements dans leur vie quotidienne, dans les relations entre elles et avec les hommes ? Ces derniers sont plutôt inquiets de la perte de leurs privilèges et freinent des quatre fers. Pourtant certains hommes ont accepté, accompagné, même, ces changements et l'affirment. Des femmes souhaitaient les rencontrer et discuter avec eux... Pour connaître ce gui change pour eux, pour chercher ensemble si, au-delà des différences, de nouveaux comportements entre hommes et femmes sont possibles... Voilà ce qui, grosso modo, motiva la création du groupe " changement " de ce numéro mixte. Pour lancer le dialogue et tenter de faire le point quelques grandes questions furent formulées : crise du couple, montée du divorce, nouveaux rapports des hommes aux enfants, regain de certaines formes de sexisme, relations affectives et sexuelles, pouvoirs et rapports de forces. Comment vivons-nous ces aspects du changement ? Où se situent les blocages ? Comment bouger ensemble ?

Les débats ont été difficiles à structurer autour de ces pistes de départ. Le regroupement effectué ici a posteriori, est donc approximatif et probablement arbitraire.

De quelques thèmes généraux

Au registre des débats à regrouper dans cette partie ne figurent pas deux aspects essentiels des mutations sociales de ces dernières années : l'entrée des femmes dans la vie sociale au sens large (pas forcément synonyme d'égalité professionnelle, ni d'égalité de pouvoir...) et la revendication de partage des tâches ménagères. Peu de discussion là-dessus : était-ce pour nous de l'ordre de l'évidence ? Pourtant, il y aurait beaucoup à dire sur les rapports de pouvoir hommes-femmes dans les lieux de travail ; notamment que la rivalité, les inégalités, la domination masculine, s'y exercent de manière très forte.

Le projet de loi antisexiste fut le support de notre discussion la plus " militante " : tentatives de repérer comment le sexisme et la phallocratie se manifestent aujourd'hui ; intérêt ou non de se servir de la loi, des institutions, du droit pour lutter contre cette situation, pour changer les comportements et l'histoire ; rôle de la pornographie et de la publicité, importance de engagement personnel et positivité de la lutte contre les rôles et le sexisme.

Autre discussion globale : celle de savoir si nous voulons évoluer vers une société dans laquelle la différenciation sexuelle s'estomperait au profit d'une certaine androgynie. Passionnée, elle permit de passer en revue les spécificités auxquelles nous tenons ou pas. Le fameux : " on ne naît pas femme, on le devient " (S. de Beauvoir) suscita même un orageux affrontement verbal sur les différences biologiques avec références aux anciennes querelles sur la " féminitude ". Le problème de la spécificité des femmes dans la procréation fut évoqué à propos des recherches sur les " bébés-éprouvettes ". Il entraîna une critique des médecins et de certaines modes (Leboyer, etc.) qui oublient le corps des femmes pour privilégier uniquement l'enfant...

Un aspect des conflits hommes-femmes apparut fréquemment dans le groupe : le divorce et la garde des enfants. Le " droit à l'enfant ", revendiqué par certaines féministes, fut contesté. Cependant des femmes du groupe considéraient la possibilité de donner la vie comme essentielle, comme un pouvoir dont elles ont du mal à envisager la " fin ".

Les contraceptions féminines et masculines devaient nous permettre de nous confronter sur ces thèmes de la procréation, la naissance, le corps, le pouvoir d'enfantement, la médecine, etc. Pour envisager tous ces aspects, se constitua un sous-groupe. Il ne se réunit qu'une seule fois. Il n'en demeure pas moins que la possibilité de se contracepter pour les hommes peut entraîner des rapports plus égalitaires entre hommes et femmes vis-à-vis du choix de faire un enfant.

D'autres sujets furent discutés : la psychanalyse, l'homosexualité, le militantisme, la bisexualité, les mouvements communautaire... Notre compte-rendu ne détaille que les thèmes qui ont rebondi d'une réunion à une autre.

... et de leurs conséquences dans nos vies...

Les relations hommes-femmes se sont transformées dans l'affectif et le sexuel. Difficile à résumer. La rencontre ? le désir, le choix de vivre ensemble ou non, en couple ou non, la fidélité ou pas, les séparations, les refus... Nos échanges racontaient nos expériences, nos opinions sur tous ces points. S'y imbriquaient nos éducations, nos histoires affectives et sexuelles, les rapports à nos parents, tout autant que nos combats contre les modèles. les symboles et les représentations caricaturales des relations hommes-femmes.

La narration de vécus parallèles et entrecroisés l'a emporté sur les tentatives de synthèse. Néanmoins deux thèmes me semblent avoir focalisé les différences et les mises en commun : la constitution du désir et la jalousie.

Souvent rapportée aux opinions de certains membres du groupe sur le livre de S. Chauveau : " La Débandade ", la constitution du désir nous fit traverser tous les enjeux des rencontres, des comportements masculins et féminins : drague, sexualisation ou pas, peurs et refus, fonction de l'esthétique, de la durée, besoin de fusion et de passion, rôle de la sensualité, de l'abandon, nature de l'initiative et de la demande... Ces interrogations suscitaient des réponses variées et contradictoires. Je les résumerais ainsi : les demandes réciproques et les comportements féminins vis-à-vis du désir restent imprégnées des normes dominantes, même si bien des comportements ont changé.

La jalousie nous a lancé dans l'exploration de la possessivité, de la dépendance, de la domination dont le couple demeure la figure centrale avec toutes les inégalités exercées contre les femmes qu'on y dénote encore. Si personne n'a nié la jalousie comme souffrance, chacun a modulé ses appréciations et critiques sur la manière de la vivre et de la montrer à l'autre. Le besoin d'autonomie dans une relation s'exprimait majoritairement dans le groupe, avec cependant des nuances quand aux risques de la solitude. Partage, transparence, fusion : ces notions revinrent aussi assez fréquemment dans nos définitions des modes de vivre nos relations. Quelques phrases choisies dans les notes prises au cours de nos séances rendront compte de ces approches diverses.

" Ce qui est nouveau maintenant, c'est que la question de la durée du couple se pose, alors qu'auparavant il était évidemment durable ".

" L'indépendance économique compte énormément ".

" On a perdu ce mythe des deux moitiés. Aucune personne n'est tout pour une autre. Ça on le sait, du moins rationnellement, sauf dans les cas de passion un peu pathologique ".

" Il est impossible (après une rupture d'une relation longue) de dire qu'on a vécu un échec. L'identité est en jeu. Je ne peux pas le dire, même si je peux repérer des trucs que je n'aurais pas du faire, ou plutôt que je ne referais plus ".

" Je n'ai jamais entendu des femmes déclarer avoir envie de mecs sans l'avoir vu (à propos des échanges de "carnets roses" ".

" Il y a une peur du saut dans l'inconnu. Depuis dix ans, on essaie de préciser. On se plante. C'est dur mais nécessaire. Quand quelqu'un se précise, l'autre aussi. Il y a un soulagement de dire : Je suis bien avec toi ".

" Un processus éducatif est à la source du différentiel homme/femme dans la capacité de prendre l'initiative. Les mecs ont des problèmes, mais ils y arrivent plus facilement ".

" Le fondement des relations, est-ce le passé ou le futur ? ".

" Est-ce qu'on aime quelqu'un indépendamment de ce qu'il est et de ce qu'il désire ? ".

" Le changement, c'est la qualité de l'investissement avec quelqu'un ".

" Les relations ne peuvent pas être dominées par le désir de ne pas faire souffrir ".

" Pour moi la durée d'une relation est essentielle : sa valeur est liée à une continuité. Ce n'est pas possible pour moi de m'investir dans un truc du genre "brèves rencontres" où il n'y a pas d'échanges en perspectives ".

" Dire (le désir) c'est balayer l'aspect poétique. Le flou est passionnant ".

" Le problème n'est-ce pas de sortir du tout ou rien, du ou ça passe, ou ça casse ".

Le souci d'inventer d'autres relations ne nous a pas conduit à conclure : " le nouveau comportement égalitaire, épanouissant, c'est ça ! " ou à tracer le portrait bien dosé du nouvel homme et de la nouvelle femme. Nous avons surtout exploré nos histoires, les doutes qu'engendrent nos tentatives d'avoir d'autres comportements et les potentialités d'autres possibilités

 

Enjeux pour un débat à poursuivre

Si les composants des relations hommes-femmes demeurent plus matière à analyse qu'à une codification idéologique précise, s'ils se sont exprimés avant tout par les récits, les gestes et les regards, les enjeux qu'ils représentent dans nos vies ont surgi sous la forme de quelques grandes questions.

— Quelles attentes réciproques entre hommes et femmes luttant contre les normes traditionnelles et le sexisme ?

— Qu'avons-nous à perdre et à gagner au changement ?

— Quels nouveaux codes sont possibles entre hommes et femmes ?

Voici quelques réponses glanées dans les comptes-rendus de débats :

" Les pères s'occupent plus des enfants. On ne sait pas encore ce qui va se passer vraiment mais ,ca va changer beaucoup de choses : modifications des autorités, des lieux de vie, des références, dualité... ".

" C'est un changement que chacun s'envisage avec une destinée individuelle. Il est important aussi que les différences sexuelles soient gommées au profit d 'une certaine bisexualité ".

" Dans une communauté dans laquelle j'ai vécu, on passait beaucoup de temps dans des discussions sur la vaisselle, le ménage, le rôle des objets dans l'appartement. L'affect passait à travers ces interminables discussions. On a peut-être perdu du temps par rapport à la façon dont agiraient des jeunes aujourd'hui ; beaucoup plus pragmatiques... Mais je ne crois pas car dans ces discussions passaient plein de trucs... ".

" Avant, la sexualité était codée, définie. Maintenant-il y a beaucoup plus de flou entre sexualité, affectif, rapport au corps ".

" Il y a 50% des mariages qui finissent en divorce... ".

" Et l'accroissement du nombre des divorces favorise les possibilités de divorce. Maintenant on a de fortes chances de retrouver quelqu'un d'autre, de ne pas connaître la solitude (comme c'était le cas à 89% avant) ".

" Les groupes hommes n'ont pas résolu la question de l'identité. L'homme en soi n'existe pas. L'homme est en couple ou en manque de couple ".

" En tant que femme le féminisme a élargi mes possibilités de communication avec d'autres femmes. Maintenant je peux me reconnaître avec mes multiplicités ".

" Moi aussi : les groupes hommes ont eu le même effet. J'ai mieux maîtrisé mon rapport au fusionnel et découvert qu'une dépendance affective entraînait une possessivité, un besoin de contrôle et de domination ".

" Pouvoir regarder l'autre vivre, c'est une forme de complicité ".

" Je peux faire des avances. Ça ne me gêne plus en tant que femme. Maintenant, j'ai d'autres problèmes de codes et de constitution du désir ".

" Il ne faut pas se cacher que le changement, ce n'est pas simple, ce ne sera pas simple, même si finalement ce n'est pas triste ".

" On perd la tranquillité des repères. En échange on gagne des trucs ".

Ce sont ces " trucs " évoqués ci-dessus qui m'apparaissent avoir été définis de façon trop imprécise par le groupe. Mais cette première tentative mixte de mise à jour de nos aspirations communes devra continuer. Pour conclure citons Duras : " des solutions sont peut-être possibles à l'incertitude de la conscience. On pourrait le croire ". En choisissant de participer à ce groupe, j'avais le souci de trouver avec des femmes des réponses cohérentes aux difficultés relationnelles entre les hommes et les femmes, envie de trouver selon une projection militante classique des cas exemplaires porteurs des idées que défend la revue. Ce besoin d'alternative n'a pas abouti tel que je l'avais plus ou moins construit à travers mes interrogations. Elles étaient certainement trop globales. Finalement il faudra beaucoup de temps pour parvenir à être plus clairs. L'exploration par tous les bouts de nous-mêmes, selon nos itinéraires personnels, nos situations sociales et affectives au moment des réunions, reste donc à poursuivre... dans d'autres groupes mixtes.

J.-Y. Rognant

 

 

Paroles de chansons d'Hommes

1949 :

" Dans le rapport du maître à l'esclave, le maître ne pose pas le besoin qu'il a de l'autre ; il détient le pouvoir de satisfaire ce besoin et ne le médiatatise pas "

Simone de Beauvoir : " Le deuxième sexe "

1983:


Une seule journée passée sans elle
Est une souffrance
Et mon cœur pendu au bout d'une ficelle
Se balance
Un seul instant sans nouvelle d'elle
Me diminue
Car un instant passé sans elle
Est un instant perdu "

Michel Jonasz

Eh bien ? Que se passe-t-il ? On médiatise maintenant ?

L'homme, le " nouvel homme " viendrait-il soudain dialoguer avec nous par le biais de la " nouvelle chanson " ? Merveille... Une occasion à ne pas rater, en tout cas : j'ai pointé l'oreille.

J'ai dédaigné d'emblée les ringards, les excessifs, les pas-connus. Je suis allée direct vers ceux " qui avaient quelque chose à dire ", vers ceux qui font de-la-variété-oui-mais-de-la-bonne, vers la qualité, quoi.

Foin de ces romances à deux sous qui maintenaient en place les rôles architraditionnels, de la midinette au prince charmant : j'allais écouter les mots et les musiques qui sortaient de ces hommes " différents "... Et qu'est-ce que j'ai entendu ? :

"
Mais si toi mon amour tu devais t'en aller
Il me pleuvrait si fort que j'en mourrais noyé,
Et si notre bonheur s'envolait en fumée
IL y aurait un nuage autour du monde entier "

Yves Duteil

et aussi :

" Tu bois du lait entre mes doigts
Tu sais tout faire comme une geisha
A quoi tu penses au d'ssus d'mon ventre
Quand tu balances tes longs cheveux ? "

Charlélie Couture

et encore :

" Dites-moi, dites-moi
Qu'elle est partie pour un autre que moi
Mais pas à cause de moi... "

Michel Jonasz

La maman, la putain et l'irresponsable... Voyons, ça me rappelle quelque chose... ? Envolés, tout à coup, les beaux espoirs : cette parole d'homme là n'est pas encore celle que nous cherchons, médiatisation n'égale pas forcément changement, " nos " hommes ne parlent pas, mais ceux qui ont pour métier de transmettre des paroles, ne véhiculent rien de neuf. On a beau essayer de nous envelopper ça dans des falbalas musicaux new-look, la nouvelle chanson de ces hommes-là ressasse les éternelles mêmes rengaines :

— culpabilisation (" si tu devais t'en aller, j'en mourrais noyé ")

— dépendance (" moi qui sait pas bien faire le thé, qu'est-ce que j'vais faire ? ")

— maternage ("  J'suis mal en homme dur et mal en p'tit cœur, peut-être un p'tit peu trop rêveur... Allo Maman Bobo... ")

Deuxième degré, direz-vous ? D'accord ; mais où trouve-t-on le premier ? En effet, cette parole assenée à coups d'ondes en tous genres se contenterait d'être falote, si nous avions autre chose à nous mettre sous la dent ! Bien sûr ils existent les Annegarn, Delahaye et autres Beaucarne, qui nous disent (et encore, pas toujours...) des mots plus réconfortants :

" Une poupée dans un cadre en bois
Faudrait qu'tu meurs pour être comm'ça
Vivre l'amour est difficile
Vivre l'amour est vraiment difficile...
Car je n'veux pas d'ces amours-là
Qui se cherchent dans un miroir
Entre la loi du plus fort et celle
Du marché
Je n'veux pas de citadelle... "

... Mais alors pourquoi ne les entend-on pas plus souvent, eux, sur les ondes ? Pourquoi les " médiatisés " sont-ils toujours ceux dont les mots ne changent rien, ne proposent rien, ceux dont les leitmotiv viennent nous bercer, nous abuser, nous endormir ? Pourquoi est-ce cette parole que des milliers d'hommes ont " en exemple ", et dont des milliers de femmes doivent " se contenter " ? (et dont, souvent, elles " se contentent "... voir la-chanson-faite-sur-mesure-pour-dame-de-3-à-5-devant-sa-table-à-repasser... style Julio Essuie-Glace, voyez le genre ?)

Bref, les hommes s'impliquant vraiment dans leurs mots ne sont pas plus nombreux chez les troubadours que chez les silencieux. Pourtant, ç'aurait pu être un créneau... (!) Peut-être est-ce parce qu'elle n'est pas aussi inoffensive qu'on pourrait le croire, la chansonnette ? Je me rends compte aujourd'hui du trouble qu'a pu faire naître dans ma tête d'enfant des mots fredonnés, tels que :

" Je me ferais teindre en blonde
J'irais jusqu'au bout du monde
Si tu me le demandais...
Je renierais ma patrie
Je renierais mes amis
Si tu me le demandais... "

...paroles écrites et chantées par des femmes pourtant... Alors je me demande ce que peut, aujourd'hui, déclencher chez ceux qui l'écoutent quelque chose comme :

" J'vais casser les murs, casser la porte
Et casser tout ici j'te l'jure
Arracher les valises que t'emporte
Avec mes lettres où j'pleurais dur...
Fais gaffe ! Fais gaffe à toi j'vais t'faire mal
T'as peur, tu pleures
Eh ben, ça m'est égal : t'as qu'as pas m'laisser
Me laisse pas ! Faut pas t'en aller...
T'en vas pas...
Qu'est-ce que je vais faire ?
J'deviendrai quoi ?
Un épouvantail, un grain d'pop corn éclaté avec une entaille...
J'veux pas qu'tu t'en ailles... "

Et puis quelle est cette violence, encore, qui nous est faite par le biais de cette expression ? Où est-il question d'autonomie, d'écoute, de communication dans ces mots diffusés partout ?

Enfin, direz-vous, ou est le lien avec le groupe " Changements " ? Moi, je le vois dans le fait que notre parole est construire aussi à partir de ces mots-là. Ces mots qui disent toujours la nostalgie et la... nonparole : " j'vais te dessiner un pays chaud et une vallée au bas du dos, sans dire un mot ", alors que parfois ils savent créer l'étincelle et peuvent tellement nous aider à lutter contre nos propres peurs...

Juste un petit clin d'œil, en passant, du côté des paroles d'hommes chantant. Masque ou reflet ?

Katy Ollif

 


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